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 LE BURUNDI AUJOURD'HUI

URURU

(La voix de l'indépendance)

 

CONFERENCE-DEBAT

CAURIS

Vendredi 23 Janvier 2004
   
       
 
sommaire
L'Histoire du Burundi
Les royautés
La guerre contre les arabes et l'esclavage
La guerre contre l'occupation allemande : le traité de 1904
Le traité de Versailles, la société des Nations et le mandat Belge
L'administration se substitue à la chefferie
La tutelle catholique : l'école et la fonction publique 
ou le christianisme administratif 
La différenciation des destins du  Burundi et du Rwanda
La crise au Rwanda et le problème des réfugiés
La peur et les coups d'Etat
La destitution de la monarchie par les militaires

2 L' Histoire de des Grands Lacs

Le contrôle stratégique des USA sur le Congo belge
L'aporie démocratique

3 L'histoire économique

La caféiculture : la monétarisation du monde rural
Les avantages d'une monnaie nationale

4 l'histoire sociale

L'école des fonctionnaires
L'école professionnelle
La santé gratuite 
L'explosion démographique et le désoeuvrement

5 Débat

L'économie de l'ubuhake et de l'ubugabire 
Les origines de la guerre
L'élite et le pouvoir
De la vache monétaire
De la monarchie à la dictature militaire
   
   

    
         
 
Qu'est ce qui se passe dans ce pays-là ?    
   
Les gens se posent des questions depuis des années déjà. Alors je me suis dit : je vais essayer de situer les choses et d'abord leur contexte historique. C'est très difficile. Il ya tellement de choses et ce n'est pas facile de comprendre. Les scientifiques qui traitent de cette région ont des visions totalement différentes, et puis, comme il y a deux groupes, même les scientifiques ne sont pas indifférents...

On va essayé d'en parler.    
   
Le Burundi se situe au coeur de l'Afrique à 1200 km de l'océan indien, à 3000 km du Cap, à 2000 de l'océan atlantique, à 3800 du Caire. C'est un pays enclavé.

Nous sommes restés coupés de l'extérieur pendant beaucoup de siècles et nous n'étions en contact qu'avec les royaumes voisins : Buha, Bushi, Bugufi, etc.

Les royaumes du Burundi et du Rwanda sont des royaumes qui datent au moins du 15 siècle.

Alors, ces royaumes se faisaient la guerre pour agrandir leurs territoires. Nous faisions la guerre aux Rwandais et les Rwandais de même : les frontières entre le Burundi et le Rwanda existaient bien avant la colonisation. Les rois se faisaient la guerre mais il n'y avait pas de problème ethnique. Il y avait des soldats de toutes les ethnies d'un côté comme de l'autre.

Le premier contact qu'on a eu avec l'extérieur, c'est vers le milieu du XIX siècle. C'est quand les esclavagistes arabes qui venaient de Zanzibar, sont venus prendre des esclaves dans cette région-là. Mais comme c'était des régions d'accès difficile, ils n'ont pas réussi à prendre des esclaves. Ils avaient des fusils à un coup. Quand ils tiraient, les gens se couchaient puis, au moment où ils allaient mettre la deuxième cartouche, les gens arrivaient avec leurs flèches de sorte qu'on les a battus et ils n'ont pas pu prendre un seul esclave.

Après le départ des Zanzibaristes, des esclavagistes, ce sont les Allemands qui sont arrivés à la fin du XIX siècle parcequ'en 1887 quand il y a eu la conférence de Berlin, on avait donné le royaume du Rwanda et le royaume du Burundi et la région du Tanganika, la Tanzanie actuelle, à l'empire allemand.

On a cru que ce serait comme avec les Arabes. On a eu des problèmes très sérieux et il y a eu beaucoup de morts. Mais ils avaient des fusils à un coup. Quand même on a résisté pendant huit ans. Puis un traité a été signé en 1904 mettant fin aux hostilités : le traité de Kiganda. Dans ce traité, on reconnaissait que l'on était sous protectorat allemand. On acceptait que l'Eglise Catholique s'installe au Burundi, et le roi acceptaint de donner la main d'oeuvre pour la route qui traverserait le Burundi de l'Est à l'Ouest. Et puis le roi devait donner aussi (on a appris cela à l'école!) 424 têtes de bétail pour nourrir les colons.

Quand la guerre éclate en 1914, les Allemands sont chassés par les Belges parce qu'ils n'étaient pas très nombreux. Quand il y a eu la fameuse conférence de Versailles on a dépouillé l'Allemagne de ses colonies. Alors le Burundi et le Rwanda ont été cédés à la Belgique et l'ex-Tanganika aux Anglais ainsi que l'Est du royaume du Burundi pour permettre aux anglais de relier par chemin de fer Le Cap au Caire. Mais le Burundi et le Rwanda étaient sous mandat de la Société des Nations. Ce n'étaient pas des colonies, c'est-à-dire que la Société des Nations avait un droit de regard sur ce que la Belgique et l'Angleterre faisaient dans ces pays. Théoriquement on avait confié à ces pays le rôle de gérer les anciennes colonies allemandes pour les amener à l'indépendance.

Après 1930, la Belgique a réorganisé administrativement ces pays avec la réduction du nombre de chefferies. La plupart des chefs (je ne sais pas si cette terminologie est bonne), étaient des membres de la famille royale, mais il y avait aussi ceux qui n'étaient pas de la famille royale et qui étaient des Hutu et des Tutsi. Les Belges ont commencé à appliquer une vision raciste sur ces populations et ces Etats. Ils ont éliminé les chefs Hutu en disant qu'ils n'étaient pas faits pour gouverner.

Lorsque les Allemands étaient entrés ils avaient légèrement favorisé les protestants parce que les premiers venus furent des protestants. Lorsque les Anglais ont pris en main l'Ouganda ils ont favorisé les protestants, et les les Pères Blancs, qui étaient en Ouganda, se sont repliés sur le Burundi et le Rwanda. C'est pourquoi quand ils sont arrivés au Rwanda et au Burundi, les Pères Blancs ont dit : "Oh-là, on va prendre en main ce pays et cette fois on ne va pas le lâcher". C'est pourquoi vraiment l'Eglise a eu beaucoup d'influence, et d'autant plus que la Belgique est un pays 100 pour 100 catholique. De façon que le Rwanda et le Burundi ont soit disant été cédés à la Belgique mais ils ont plutôt été cédés à l'Eglise catholique . Les administrateurs obéissaient aux missionnaires qui ont même exilé au Congo belge un roi du Rwanda parce qu'il n'était pas réceptif aux enseignements de l'Eglise. Et c'était eux qui choisissaient les rois. Pour les affaires économiques cela se passait plutôt au Congo belge dans les mines du Katanga. Alors c'est l'Eglise qui va s'occuper de l'éducation, de la santé... Seules les écoles gérées par l'Eglise catholique recevaient les subventions de l'Etat.

L'Eglise avait une politique qui disait : « il faut commencer par baptiser, conquérir l'âme des chefs, comme cela le peuple va suivre». Et c'est ce qui va arriver parce que presque tout le monde s'est fait baptiser. Et il y avait des avantages : si tu étais chrétien tu étais bien vu par l'Administration. Comme il y avait des travaux forcés, des corvées, on pouvait en être dispensé. C'était une promotion sociale le fait d'être baptisé. Alors on se demande si effectivement on est chrétien ou quoi ? Ça a été une christianisation administrative.

Et puis, vers les années 30 ils ont fondé au Rwanda une école dans laquelle devait être formées des «élites», c'est-à-dire les auxiliaires qui devaient travailler pour l'Administration.

Le Burundi et le Rwanda formaient une seule entité administrative. Et dans cette école, 80% des enfants (au moins70%) étaient les enfants de la famille royale, des gens que l'on appelait les "aristocrates" ou que l'on pouvait appeler les aristocrates entre guillements, parce que dans leur vision du monde, les Pères Blancs disaient que les enfants de la famille royale c'était eux qui devaient gouverner, c'était eux qui devaient aller à l'école de l'administration.

Au milieu des années 50 la Belgique était gouvernée par une coalition dominée par la démocratie chrétienne mais il y a eu un ministre libéral responsable des colonies qui a voulu diminué l'influence de l'Eglise catholique sur l'enseignement en créant des écoles laïques. Cela a été possible au Burundi mais le poids de l'Eglise Catholique a fait échouer le projet au Rwanda.

Le roi du Rwanda a été baptisé contrairement au roi du Burundi. Le roi du Burundi a refusé de se faire baptiser en disant que vis-à-vis de tous les Burundais s'il devenait chrétien il risquait de ne plus être impartial (mais quand même on lui a accordé une dérogation pour épouser une femme chrétienne alors que apparemment si on était païen on ne pouvait pas épouser une femme chrétienne. Mais c'était peut-être une manière d'amener le roi jusqu'au baptême).

Néanmoins, le roi du Burundi ne s'est pas fait baptisé, de façon que l'Eglise catholique a eu moins d'influence sur le Burundi que sur le Rwanda.

Et quand il y a eu des élections pour l'indépendance, supervisées par les Nations Unies, les gens étaient vraiment mobilisés. Le thème mobilisateur était qu'il fallait l'indépendance immédiate. Les autres disaient : non ! il faut attendre. La population a voté à 90% pour l'indépendance immédiate parce qu'il y avait les travaux et la corvée, la chicote, tout ça. Je crois que les gens en avaient marre et ils voulaient vraiment en finir.

Alors les problèmes se sont compliqués au Rwanda. Mais au Burundi jusqu'à l'indépendance ça s'est bien passé. Au Rwanda en 59 a commencé la crise que vous connaissez (le début des massacres de Tutsi au Rwanda) et le problème des réfugiés au Burundi.

En 59, les Rwandais Tutsi ont commencé à fuir. Ils sont venus au Burundi. Il y eut des tentatives de retour au Rwanda par la force des réfugiés Tutsi rwandais. La tentative se solda par un échec et entraîna le masacre des leaders de l'opposition intérieure et des populations de Tutsi.. Celles ci fuient en masse au Burundi et le climat se détériore .

Au Burundi l'ethnie minoritaire a commencé à avoir peur quand elle a vu ce qui se passait au Rwanda ce qui a entraîné une gestion sécuritaire ethnique .

Le parti des indépendantistes, l'UPRONA (c'était le parti des députés de toutes les ethnies, des militants pour l'indépendance, stigmatisés par les catholiques comme communistes) conduit par le fils du roi, le Prince Louis Rwagasore, gagne les élections, avec 58 sièges contre 3 sièges au PDC (Parti Démocratique Chrétien) soutenu par la tutelle administrative belge et l'Eglise, et 0 sièges au parti tribaliste Hutu, parti fondé par un ancien prêtre catholique qui devant son échec se suicide. Mais vingt jours après Louis Rwagasore est assassiné, par les milieux d'affaires, les opposants à l'indépendance immédiate,ou liés à la colonisation.

La crise politique a commencé avec la dispute pour le leadership de l'UPRONA.

En 65, il y a de nouvelles élections gagnées par l'UPRONA sur fond de crise ethnique. Le premier mnistre qui est nommé est contesté par une grande partie des députés. Une tentative de coup d'état des officiers Hutu contre le roi échoue : après l'échec du coup d'état il y a eu un réglement de compte politique et une partie des Tutsi en ont profité, pour éliminer physiquement certains hommes politiques Hutu de façon que la crise est devenue ouverte.

Puis, en 1966, coup d'état militaire réussi contre la monarchie. La monarchie s'était affaiblie. Je crois que cet affaiblissement a commencé avec l'application d'une constitution qui n'était pas adaptée aux réalités historiques et qui intoduisait une nouvelleconception du pouvoir : "le roi règne et ne gouverne pas". Il était inconcevable que le roi règne et ne gouverne pas, qu'il n'ait aucun mot à dire dans la politique du pays car le roi au Burundi était encore le représentant d'un pouvoir sacré. On a voulu calqué la constitution de la Belgique.

 En 1972, nouvelle tentative de coup d'état des officiers Hutu avec des massacres de populations Tutsi dans les campagnes suivie d'une répression aveugle des intellectuels Hutu.

   
2 L' Histoire de la Grande région   

Maintenant je vais parler de la région des Grands Lacs. Le Rwanda, le Burundi,le Zaïre forment une grande région.
Depuis 1945 le monde occidental disait que les matières premières du Zaïre sont vitales pour le monde libre. À partir de 1945 c'était les Etats Unis qui contrôlaient de fait le Zaïre.

Pour les Américains, on devait avoir des régimes forts dans les pays frontaliers pour que l'on ne puisse pas déstabiliser le Zaïre

 1961 : Lumumba est assassiné. Ses partisans tentent de reprendre le pouvoir par des mouvements de guerrilla à partir des petits pays qui se trouvaient à côté, il y a eu de petites tentatives de mouvements insurrectionnels de tendance marxiste dans les années 60. D'où une réponse massive car ces mouvements furent suspectés d'être influencés ou dirigés par Moscou ou Pékin. Alors, pour les Américains, il fallait soutenir des régimes stables et forts, c'est-à-dire des régimes militaires parce que ces militraires pouvaient être facilement contrôlés.

Comment en est on arrivé à la crise actuelle  ? Lorsque l'on est arrivé aux élections de Juin 1993, élections générales, la victoire est allée au Parti FRODEBU (Front pour la Démocratie au Burundi) (tendance Hutu) ) mais les gens qui étaient précédemment au pouvoir avec l'appui des militaires et qui s'étaient enrichis dans les trois décennies de gestion (en général beaucoup de Tutsi car c'étaient eux qui étaient au pouvoir) n'ont pas accepté que l'on remmette en cause leurs avantages.

Alors le 21 Octobre le Président (Ndadaye) est assassiné. C'est une catastrophe nationale. La population s'est révoltée, car on a assassiné un espoir. Ce sont les militaires Tutsi qui ont assassiné le Président Hutu. Alors il y a eu des massacres des paysans Tutsi par les paysans Hutu qui voulaient venger «leur Président». Il y a beaucoup de morts et de populations déplacées.

Naissance des mouvements armés Hutu pour lutter contre l'armée.

Après les gens ont essayé de négocier le retour de la paix, mais le problème qui se pose vraiment : comment gérer le pays de façon démocratique quand il y a des groupes qui sont en conflit comme nous en connaissons.

Je suis tombé sur un papier où vraiment on se pose des questions. C'est une histoire qui date des années 67. On y parle d'une approche consociative de la démocratie. Dominique, tu as dû en entendre parler ? La documentation est en anglais et en allemand. Je pense que ce sont des Suisses allemands qui ont les premiers travaillé la dessus.

 Approches consociatives dans le contexte du Rwanda

par

Stef Vanderginste et Luc Huyse

L' Afrique des Grands lacs, Annuaire 1998-1999 pp. 101-123

 

Introduction

Comment des sociétés plurielles peuvent elles être organisées politiquement de façon à maintenir un système de partage du pouvoir démocratique et stable ? Voilà la question principale à laquelle certains politologues ont essayé de répondre depuis l'année 1967, date des premières analyses comparatives et scientifiques des systèmes consociatifs. Le présent article se veut une brève analyse du contexte politique rwandais (historique et actuel) du point de vue de la théorie consociative. Avant cela, nous voulons introduire quelques notions clés de cette théorie et faire quelques références comparatives

 

Notions de la théorie consociative

 

Une société à caractère hautement pluriel pourrait être définie comme une société où :

(1) les segments de la société (qui peuvent être de nature religieuse, idéologique, linguistique, régionale, culturelle ou ethnique) peuvent être clairement identifiés,

(2) l'importance de chacun des segments peuvent être exactement déterminés,

(3) les frontières segmentaires et les frontières entre les différentes organisations politiques, sociales et économiques coïncident , et

(4) les partis segmentaires reçoivent un support (électoral) stable de leurs segments respectifs.

Théoriquement, une société qui correspond aux quatre caractéristiques serait extrêmement plurielle, mais les exemples empiriques (la Suisse, le Liban, l'Afrique du Sud, la Belgique etc...) montrent que, en réalité, des sociétés plurielles ont toujours d'importants éléments d'homogénéité.

« On peut estimer que dans une société plurielle, (par des différences ethniques, religieuses et/ou socio-économiques), les conflits sont trop explosifs pour être traités selon les "procédures normales" d'une démocratie stable (comme par exemple, l'opposition parlementaire, la campagne électorale, l'alternance des partis au pouvoir). Une telle situation mène plutôt, telle est l'hypothèse de beaucoup d'observateurs, à la violence et à la répression, à la sécession ou à l'assimilation des groupes minoritaires. Or, la théorie consociative, en tant qu'instrument d'analyse et de modèle normatif, offre une correction importante à cette thèse. Suivant cette théorie, même si cela s'avère plus difficile, il n'est pas du tout impossible de gérer une société plurielle sous un régime politique démocratique et stable.

La caractéristique la plus frappante du traitement politique des conflits dans un régime consociatif consiste en l'élimination consciente du principe qui veut que " la majorité règne"

L'abandon du principe de la majorité est un phénomène extrêmement important. Il écarte l'approche consociative d'une démocratie de type anglo-saxon, qui est souvent considérée comme l'incarnation la plus réussie des principes démocratiques.

Un grand nombre de formules alternatives se substituent à ce principe, formules qui constituent autant d'expressions d'un effort commun à réduire les tensions (actuelles et potentielles) entre les différentes composantes de la société (que nous appellerons désormais "segments") par la concertation, le dialogue, l'élaboration de compromis et le partage du pouvoir. Concrètement, ce mécanisme consociatif peut apparaître sous plusieurs formes.

1- Généralement, ce "gouvernement par consentement mutuel" repose sur le principe de la représentation proportionnelle de toutes les forces politiques (et, par conséquent, de tous les segments de la société).

  Dans un modèle anglo-saxon ou "adversatif", une simple majorité politique permet d'exercer un contrôle dans tous les domaines de la prise de décision politique, sans devoir tenir compte des minorités

Néanmoins, en fonction des forces segmentaires au sein d'une société, une proportionnalité "corrigée" peut être requise, notamment dans le cas où une des forces politiques représente un segment à majorité démographique. Si cette majorité était traduite de manière proportionnelle en terme de pouvoir politique, le résultat aboutirait à un régime majoritaire de fait. Dans ces cas, la parité entre les forces politiques peut être introduite

  A titre d'exemple, on peut se référer à la parité entre les communautés linguistiques au niveau du gouvernement fédéral belge

ou d'autres mesures peuvent être prises pour réduire la position politiquement majoritaire d'un segment démographiquement majoritaire

  Pour la Belgique, référence peut être faite à la neutralisation partielle de la majorité francophone dans le gouvernement de la région bruxelloise. La protection de la minorité néerlandophone à Bruxelles lui garantit une présence, "disproportionnelle" mais pas paritaire, au sein du gouvernement régional

(Cette proportionnalité (pure ou corrigée) s'applique d'abord en rapport avec le système électoral. Ceci implique, entre autres, que l'entrée des différents segments dans les institutions parlementaires se trouve fortement facilitée. Les instances législatives reflètent dès lors de manière assez fidèle la diversité des opinions, même minoritaires de la population. Le principe de la représentation proportionnelle apparaît également dans l'admnistration publique: les affectations dans les services publics visent le plus souvent une représentation des groupes qui soit proportionnelle avec leur capacité électorale ou avec leur position démographique.

  Ce jeu subtil d'équilibre dans la politique des affectations est une caractéristique tellement frappante du modèle de démocratie consociative que Lehmbruch, en généralisant, a créé la formule de Proporzdemokratie.

Il peut également s'appliquer à la répartition des fonds publics.

2- Pour des problèmes extrêmement délicats, où les intérêts vitaux d'une communauté sont en jeu, une protection sous forme d'un recours au droit de veto - formel ou informel, suspensif ou définitif - est prévue.

3- De plus, dans un régime consociatif, une autonomie segmentaire considérable est donnée aux groupes ethniques, linguistiques ou religieux, surtout pour tout ce qui concerne la gestion des secteurs de l'enseignement et de la culture.

4- Au delà des arrangements institutionnels et au niveau des procédures, le comportement des leaders des différents segments, parfois diffèrent de celui de leur clientèle est d'une extrême importance. Les élites politiques, économiques et sociales du plus haut échelon adoptent une attitude pragmatique dans les contacts qu'elles ont avec leurs adversaires. La démocratie consociative est donc essentiellement caractérisée par un comportement coopératif des leaders des différents segments de la population ("élite coopération"). Cette attitude peut différer remarquablement du comportement de "la base", qui, souvent, soit n'entretient que peu de contacts avec ceux qui relèvent d'un autre segment, soit témoigne d'une attitude d'indifférence ou d'hostilité latente.

L'emploi de mécanismes consociatifs pour désamorcer les conflits explosifs que causent les clivages ethniques, linguistiques ou religieux n'est pas une solution qui se présente dans chaque société. Lijphart a identifié des facteurs, dits favorables, qui peuvent être considérés comme conduisant à l'établissement et au maintien de la démocratie consociative, bien qu'il ne s'agisse nullement de conditions nécessaires ni de conditions suffisantes.»

On s'est posé des questions en Belgique et au Pays Bas parce qu'ils ont des minorités. Et ils ont essayé de réfléchir car ils sont conscients que là où il y a plusieurs minorités, l'une peut utiliser la démocratie pour écraser l'autre.

Ce sont des problèmes qui se posent dans beaucoup de pays : en Afrique en tout cas.

Ce serait une bonne chose qu'on y réfléchisse car l'influence occidentale veut tout normaliser par un modèle pour tous, un modèle prêt à porter.
Ce serait mieux que les gens réfléchissent la-dessus.
     

 REFERENCES

 

Josias Semujanga

Récits fondateurs du drame rwandais, Discours social idéologies et stéréotypes

L'Harmattan, 1998.

 

Jean-Pierre Chrétien

Burundi, l' Histoire retrouvée

Karthala, 1993.

 

Sous la direction de S. Marrysse et F. Reyntjens

L'Afrique des Grands Lacs,

L'Harmatan, 1998-1999.

 

Jean Pierre Chrétien

L' Afrique des Grands Lacs Deux mille ans d'histoire

Aubier, 2000.

 

Dominique Temple

1) Ethnocide, économicide et génocide au Rwanda

2) Le génocide au Rwanda, une analyse des responsabilités

3) L'impasse génocidaire

http://mireille.chabal.

free.fr

 
   

 

On va parler à présent un peu de l'Histoire économique

Du temps de la colonisation, il fallait payer l'impôt de capitation. C'est pour ça que l'on a introduit la caféiculture. On l'a introduite pour que les gens puissent payer l'impôt. C'était le travail obligatoire. De sorte que jusqu'à une époque récente, le ministère de l'agriculture se confondait avec le ministère de la caféiculture.

Mais après l'indépendance, on est tombé dans un système où il fallait avoir des devises pour les importations. L'Etat avait juste assez d'argent pour ses frais de fonctionnement, pour payer les fonctionnaires mais pas pour d'autres investissements.

On a commencé à contracter des dettes auprès de la banque mondiale pour améliorer la qualité du café pour les équipements publics : routes, barrages hydroélectriques, etc.. On a essayé d'équiper le pays. On a eu recours aux emprunts concessionnaires de l' IDA (filiale de la Banque Mondiale pour les pays pauvres) à 0,75% d'intérêt.

Mais quand les cours du café ont commencé à chuter, le gouvernement a eu beaucoup de problèmes. Pour les paysans qui n'ont chacun en moyenne qu'un hectare, le café n'est qu'une énième "culture vivrière" qui occupe seulement quelques ares, qui permettait qu'on puisse acheter des habits à madame ou faire des économies pour les périodes de disette.

Et puis, nous, on est resté avec une monnaie nationale. Nous n'avons pas le système français du CFA. Avec la monnaie nationale, il y a une marge de manoeuvre, de façon que si on dévalue la monnaie, on peut garantir le prix aux producteurs et la dévaluation de la monnaie ne cause pas de grande perte du pouvoir d'achat aux paysans parce que en général ils ne consomment pas beaucoup de produits importés. S'il n'y avait pas eu cette marge sur la monnaie, la caféiculture aurait disparu. Les gens qui étaient dans l'opposition disaient que les paysans sont exploités mais des études faites sur la question montrent que les caféiculteurs burundais étaient parmi les mieux payés d'Afrique par rapport aux prix du marché mondial. On n'avait pas le droit d'arracher les caféiers : c'était un travail obligatoire mais à la fin on y trouvait son compte car on pouvait alors faire des investissements qui demandaient de grosses dépenses.

Mais la population ayant augmenté, on se demande si on pourra toujours vivre avec les recettes du café. Il faut aussi payer la dette.

L'Histoire sur le plan social

L'école a été conçue pour former une élite. Après l'école primaire, c'était entre cinq et dix pour cent qui allaient au secondaire : pour former des fonctionnaires : grosse déperdition scolaire.

En 1973, on a fait une grande réforme de l'enseignement dont les aspects principaux sont "la kirundisation et la ruralisation" (l'école dans la langue nationale les premières années) pour que l'enfant comprenne mieux et l'on devait commencer le français en troisième année de l'école primaire. Les travaux agricoles faisaient partie des nouveaux programmes.

La banque mondiale, même si beaucoup la critiquent, des pays comme le nôtre en a profité parce qu'elle a financé des écoles professionnelles après le primaire pour récupérer les recalés. Ce projet a échoué presque partout parce que l'école avait été conçue pour abandonner les travaux agricoles et pour devenir fonctionnaire (écrire et quitter la houe!) et l'on n'imaginait pas que l'école serve à promouvoir des travaux manuels. C'est pour ça que ces écoles au début n'ont pas réussi. C'est avec le temps que l'on s'est rendu compte que l'enseignement général servait à créer des chômeurs et ce n'est qu'alors que les gens se sont retournés vers ces écoles professionnelles.

Et puis le problème de la santé : dans les années 60, la population n'était pas nombreuse et elle était bien nourrie, et les gens n'étaient pas souvent malades. C'est pour ça que la santé pouvait être gratuite. La santé était gratuite grâce à une cotisation indexée sur les salaires et une cotisation annuelle minime pour les paysans.

Mais à présent le budget de la santé a été réduit de moitié avec la crise que nous connaissons.

Entre temps beaucoup d'argent entre par les ONG mais on n'arrive pas à retrouver le même niveau de santé que l'on avait avec moins d'argent. On se demande vraiment si l'argent qui rentre de l'extérieur sert à résoudre les problèmes de santé ou à payer les frais de fonctionnement surdimensionnés des ONG.

Au-delà de la crise politique, même si les hommes politiques pouvaient avancer, s'entendre et partager le pouvoir, on reste confrontés à un défi démographique : le nombe d'habitants par km2 (moyenne supérieure à 300 habitants au km2 avec des pics de 1000 h. par km2)

Le chômage : les gens n'ont plus rien à faire, parce que l'on n'a qu'un hectare pour dix personnes, il n'y a pas assez de travail : c'est un chômage rural déguisé. Dans le temps il y avait l'émigration vers les pays de l'Afrique de l'Est, beaucoup de Burundais et de Rwandais allaient travailler là-bas pour fuir les corvées, car le système belge était plus dur que le système d'à côté et puis on pouvait gagner de l'argent. Peut-être on va recourir de nouveau à l'émigration.

On a d'autres ressources, du pétrole et du nickel : il faut trouver du travail dans un domaine non-agricole pour résoudre les problèmes sociaux sinon la crise politique ne pourra que s'accentuer.

Il y a même des démographes qui disent que la crise, bien au delà du tribalisme ou de l'ethnisme était tout à fait prévisible. Ce sont des hypothèses de travail qui intéressent les scientifiques.

Débat

D. (France) : Le roi des Burundais ne s'est pas fait baptiser : est-ce par référence à une autre pensée religieuse ?

Ururu : Officiellement il disait : il y a des musulmans, il y a des catholiques, et des protestants, or je suis le père de tous les Burundais, Si je me fais baptiser, je ne serai plus le guide que d'une faction. Mais il se référait aussi à sa religion car au Burundi nous avions une religion monothéiste : le nom de Dieu était Imana . D'ailleurs la religion catholique a gardé pour pour le nom de Dieu "Imana". Et cette religion continue à être pratiquée dans la clandestinité. Même les catholiques continuent à la pratiquer.

D. : Il y avait une tradition sur la redistribution des vaches. Tu n'en as pas parlé. Or le roi était le pasteur du troupeau. Il y avait l'ubuhaké : tu n'en parles pas.

Ururu : Non, ce n'était pas seulement le roi qui donnait des vaches mais toute personne qui en avait pouvait en faire cadeau. Si on donnait une vache à quelqu'un, celui-ci donnait un contre-cadeau. On pouvait demander une vache à quelqu'un, à toute personne Hutu ou Tutsi qui possédait des vaches. Celui qui n'en n'avait pas pouvait demander : donnnez moi une vache. Comme ça il pouvait augmenter sa production agricole. A la fin, ce dernier pouvait donner en contre partie par exemple des cruches de bierre. On pouvait donner pour une raison philantropique, on pouvait donner en témoignage d'amitié.

Et le fait qu'on avait donné des vaches à quelqu'un c'était créer avec lui une relation proche. Il était alors de la famille. S'il y avait une fête il devait être là et ainsi de suite. Quand on se marieait le garçon devait donner en cadeau à la famille de la fille une ou plusieurs vaches comme dot.

D. : Est ce que ce mécanisme créait une relation de confiance entre tous les Burundais ?

Ururu : Oui, en fait, la vache avait un poids économique ; le fait de pratiquer en même temps l'élevage et l'agriculture permettait de produire plus (le fumier et le lait). Donner une vache c'était un signe de confiance et de bonne relation... le donateur te rendait vraiment service. La vache ne se vendait pas. Les gens riches pouvaient donner une vache pour des bijoux en coquillage venant de l'océan indien mais autrement la vache ne se vendait pas. Chez nous il y avait d'une part l'«ubugabire» et d'autre part l'«ubuhake». L'«ubugabire» c'est le cadeau sans contre-partie. Il y avait une certaine réciprocité : par exemple si au bout de quatre ou cinq ans la vache avait donné des veaux, tu pouvais réciproquer une vache. Si jamais celui qui avait donné des vaches perdait son troupeau, celui qui avait reçu pouvait lui permettre de reconstituer son troupeau. l'«ubuhaké» signalait l'engagement d'une contrepartie, l'entraide pour le travail par exemple ou des cruches de bierre en fin d'année ; c'était comme un contrat. C'était vraiment très fort dans le domaine du sentiment.

Il y avait un autre système qu'on appelait «kubitsa» : ça veut dire qu'on me prêtait les vaches et qu'entre temps j'en tirai le fumier et le lait. Mais à la fin je rendais veaux et vaches dont j'avais profité mais lorsque je rendais les vaches, tu me laissais un veau au moins. C'était pas écrit mais tu ne pouvais pas reprendre le prêt sans laisser quelqe chose.

On n'échangeait pas pour gagner quelque chose, ce n'était pas ça, c'était plutôt du don car on donnait à ceux qui n'avaient pas.

Et puis, si on me donnait des vaches, je pouvais t'en donner à mon tour et ainsi de suite, ça rapprochait les familles.

D. : Est-ce que comme au Rwanda il y a eu abandon de ce système par décision administrative ? Au Rwanda on a décidé que ceux qui avaient reçu des vaches devenaient propriétaires des vaches, ceux qui avaient donné des vaches restaient propriétaires d'un tiers des vaches. Est-ce que cela s'est passé au Burundi ?

Ururu : Non, ça ne s'est pas passé comme au Rwanda car au Burundi les troupeaux étaient moins grands. Il n'y avait pas de propriétaires de centaines de vaches. Tout était à plus petite échelle. Maintenant, on peut encore donner des vaches. On peut t'en donner comme symbole d'amitié même si tu es fonctionnaire, tout en sachant qu'il n'y a pas d'apport économique pour un fonctionnaire. On peut se donner des vaches comme symboles d'amitié. C'est un don d'amitié purement symbolique. Si je donne une vache à quelqu'un ça veut dire que c'est un ami.

   
   

D. : Tu n'as pas parlé du rôle et du poids des combats et de la guerre civile entre qui et qui et que signifie dans le panorama que tu as brossé, la guerre dont on parle tant.

Ururu : A l'indépendance au Rwanda c'était l'ethnie Hutu qui a pris le pouvoir et au Burundi ce sont les Tutsi qui ont pris le pouvoir. Le problème c'est que les deux ethnies se sont affrontées pour contrôler le pouvoir. Mais la question du pouvoir commence à se poser avec le monde moderne

D. : Mais quand dans une famille il y a des victimes qu'est ce que cela entraîne, des vengeances perpétuelles entre familles ou au contaire une émotion de toute la population rassemblée autour des victimes et pour cette famille. Est ce qu'elle est isolée du reste de la société ou non ? Qu'est ce qui se passe ?

Ururu : Le problème c'est que quand la guerre devient ethnique on peut tuer une personne même sans la connaître. On peut la tuer parce qu'elle est de telle ethnie, et c'est un engrenage où tout le monde paie. En réalité on est des voisins, on occupe la terre et il n'y a pas d'ennemis. Le problème s'est posé beaucoup plus dans le monde intellectuel. L'élite se disputait les postes de l'Administration de sorte que maintenant les paysans disent que l'élite occidentalisé ou citadine est responsable de ses malheurs.

D. : Ça veut dire que la guerre serait manipulée par les élites intellectuelles et que les masses ne lui seraient pas favorables  ?

Ururu : Mais à la fin tout le monde a été obligé de suivre parce quand il y avait la guerre dans telle ou telle région, il y avait des gens qui mourraient et dans ce cas-là on devait choisir son camp, c'est ça le problème. Mais au départ, le problème c'est le conflit du pouvoir entre les élites. Les paysans ont été entrainés parce qu'on ne peut pas prendre le pouvoir s'il n'y a pas de masses derrière.

D. : Donc le conflit n'est pas quelque chose qui mobilise ou intéresse les chefs de famille paysannes dans la campagne  ?

Ururu : Non, le paysan est victime, car lui, il sait que même si le pouvoir change de camp il va rester à cultiver sa terre. C'est pour ça que dans certaines régions on a embrigadé les paysans malgré eux que ce soit dans une ethnie ou une autre.

Mais il y a d'autres problèmes qui se posent : le problème de la croissance démographique c'est-à-dire de la jeunesse désoeuvrée. On fait des promesses mirobolantes à la jeunesse : «On va te nommer fonctionnaire, tu auras une place dans l'armée ou quelque chose...» Quand on est jeune on peut être facilement mobilisable et puis l'avenir par ailleurs est bouché.

D. : Est ce que l'on peut dire alors que la guerre est quelque chose de lié à la promotion de l'élite occidentalisée et citadine ?

Ururu : la guerre est une autre manière de faire de la politique. La guerre c'est mobiliser les masses pour prendre le pouvoir, c'est une lutte entre les élites pour le contrôle de l'Etat.

D. : S'il y avait une solution politique, la guerre s'arrêterait ?

Ururu : Ce n'est pas même la peine d'avoir une solution politique pour qu'elle s'arrête. Si les élites s'entendent la guerre s'arrête. Parce que les paysans désirent seulement cultiver leur terre.

D. : Les mercenaires des élites rivales qui veulent le pouvoir sont des jeunes gens qui ont quitté la terre, qui vivent dans des faubourgs, sans travail, ou bien des gens qui travaillent la terre ?

Ururu : En fait il y a même des élèves, ceux qui doivent quitter l'école. Dans les faubourgs il y en a mais chez les Burundais ce n'est que 10% de la population à peine qui est urbanisée.

D. : Le recrutement se fait où alors  ?

Ururu : Partout, mais surtout dans la jeunesse désoeuvrée. Même dans les campagnes la jeunesse est désoeuvrée.
J'espère que cela va être une leçon pour les autres et qu'ils ne vont pas nous suivre.

S. (Sénégal) : Tu parles d'une façon absolument neutre. On ne sait pas où est ton camp ce que tu sens, ce que tu as senti des choses là bas.... Moi je connais beaucoup de Burundais ici et je parle beaucoup avec eux. Tout de suite je vois que ce sont des enfants de l'élite. C'est une première chose. La deuxième je sais que ce sont des Tutsi. 3ème chose : l'Histoire en tant que telle ne les intéresse pas sinon quand elle les valorise mais ça ne les intéresse pas si ce n'est quand elle remet en cause le statut qui est le leur. Et donc toi aujourd'hui dans ce Burundi configuré tel qu'il est, moi je ne vois pas tes penchants, honnêtement : qu'est ce qu'il faut faire de ce Burundi-là ?

Ururu : J'ai été pendant ces vacances là bas. Vraiment le pays a beaucoup souffert, il y a des gens qui ont tout quitté et qui se sont regroupés dans de petits centres urbains de l'intérieur. Mais il y a aussi des gens qui ont été à l'école et des deux ethnies et qui sont déçus de la politique. Les paysans disent que la solution c'est le partage du pouvoir entre les élites et ils demandent qu'elles les laissent enfin tranquilles.

Mais au delà de la question du pouvoir il y a beaucoup de défis à relever : l'explosion démographique pour la jeunesse de demain.

Même si ce ne sont pas des conflits ethnicisés on aura d'autres conflits parce que quand on a sept millions et demi d'habitants pour à peine 28.734 km2 de terres surexploitées, les conflits ne manqueront pas parce que toute guerre a des causes économiques.

Je crois que la solution est qu'il faut que les élites prennent leurs responsabilités

S. (Sénégal) : Mais les élites ne prendront pas leurs responsabilités. Les élites sauvegardent leurs intérêts. Qu'est ce qu'il faut faire ? Tu nous parles comme si le paysan était dans son trou et les masses intermédiaires ouvrières, artisanes n'existaient pas (...) Selon toi, il y a les élites et les paysans, et terminé ! Ça ne peut pas se passer comme ça (...). Les élites ne sont pas nées ex nihilo. Elles sortent de couches sociales, de classes du peuple burundais et donc elles agissent au nom des couches, des classes ou ethnies ou confessions mais elles agissent au nom des intérêts de quelque chose. Et les gens qui sont autour et qui s'identifient à cette chose là sont représentés par cette élite là. Donc il y a interaction entre les couches et classes de la population.

Ururu : Je ne conteste pas cela. Si on est en communautés mais que si l'on dit que un homme = une voix, il faut aussi qu'on trouve une manière de partager le pouvoir entre communautés. De cette façon la premiere chose qu'on demande à l'élite est qu'elle s'entende au nom de tout le monde.

   
       
   

P.(Cameroun) : Pourquoi les gens se disputent-ils le pouvoir. Tu dis qu'il y a une loi de majorité et que certaine ethnie est majoritaire. De ce fait elle, prend le pouvoir. Tu dis que l'élite se dispute parce que tous veulent contrôler le pouvoir mais est-ce que la motivation économique est derrière cela ? C'est peut être parce que les gens veulent des vaches ? Il semble que tu aies déjà exclu cette hypothèse. Est ce que c'est parce que les gens veulent contrôler le pétrole, contrôler le cacao, contrôler une rente qui permet de financer les écoles, quelle est la motivation des gens qui veulent contrôler le pouvoir ? Si le pouvoir est donné à la majorité, est ce que la majorité, une fois au pouvoir, garantit que tous les Hutu par exemple vont se partager cette rente là ou non ? Il y a un problème là.

Ururu : En fait, le pouvoir c'est le pouvoir politique. Quand un homme est ministre il peut avoir accès aux devises et aux biens importés, à l'argent de l'Etat. Quand on contrôle l'Etat on contrôle tout. On se dispute le contrôle de l'Etat.

P. (Cameroun) : Mais les ressources de l'Etat ce sont les impôts, c'est tout.

Ururu : Ce sont les impôts ? Mais oui et non, le pouvoir c'est tout. Le pouvoir de nommer des "frères" à des postes de responsabilité, à des Directions de la Banque centrale, au contrôle des devises parce que si on n'a pas beaucoup de devises on ne peut importer. Les douanes, les recettes du café, c'est le pouvoir politique qui les contrôle.

D. (France) : Il me semble que le pouvoir peut être défini sans être nécessairement motivé par une fonction économique. Il déborde la question économique.

Ururu : ça c'est le philosophe qui parle après le marxiste et le capitaliste. Mais nous, on se pose pas cette question. Aujourd'hui le pouvoir est le pouvoir matériel

P. : Toi tu connais bien le pays. Quelles sont les motivations de ces différents courants politiques qui sont représentés à l'intérieur du pays. Dire que les Tutsi ou que les Hutu veulent contrôler le pouvoir c'est normal mais il y a différents courants politiques et certains qui sont louables et d'autres qui le sont peut-être moins.

Ururu : Que ce soit du côté Hutu, que ce soit du côté Tutsi quand on voit les programmes alors on voit qu'ils sont très très proches. Mais enfin quand ils négocient quand il y a des accords (comme les accords d'Arusha) on les accuse de n'avoir fait que se partager des postes, on voit clairement que même s'ils affichent des opinions identiques ils ne se divisent que pour la répartition des postes.. Tu as reçu ça, tu as accepté ça... On entend que des polémiques comme ça, de sorte qu' on les appelle les ventriotes, c'est-à-dire des politiciens du ventre.

P. : J'imagine alors que ces politiques on des affiliations extérieures, autrement dit les commanditaires, disons leurs alliés extérieurs, connaissent leurs motivations réelles parce que pour financer quelqu'un qui veut se battre dans son propre pays et qui va tuer des gens pour contrôler le pouvoir, tu dois savoir ce qu'il veut exactement ! Mais l'homme politique qui est à l'extérieur, il va financer quelque chose qui résulte des négociations, il va financer celui qui est arrivé au pouvoir même si les autres se disputent. Lui, il voit loin et a une vision stratégique. Quels sont les soutients extérieurs qui voient loin ?

Ururu : Je crois que la grande partie des soutiens ne vient pas de la diaspora qui est à l'extérieur. Il n'y a pas non plus d'intérêt géopolitique ou géostratégique ou géoéconomique extérieur très prononcé. Même s'il y a des pressions diplomatiques de tel ou tel pays, vraiment ce n'est pas aussi prononcé que cela. Au contraire ces pays aimeraient que cette région se calme. C'est pourquoi ils se portent comme garants des accords. Le problème est essentiellement interne.

P. : Quel est le pouvoir ou l'impact de ce qui reste du pouvoir royal ? Est ce que c'est un pouvoir qui a totalement disparu, est-ce qu'il a son mot à dire dans le nouveau contexte actuel, est ce qu'il est respecté, est-ce qu'il a une proposition, est-ce qu'il peut encore incarner quelque chose au niveau politique ? Par rapport à la royauté, tu dis qu'un pouvoir royal existait et que apparemment comme il n'est plus là ses sujets se disputent le pouvoir. Cette royauté là, tu nous as dit qu'elle était très très scolarisée.

Ururu : Oui, par rapport à la population elle a bénéficié de la scolarisation. Les gens de la famille royale on les appelait les Baganwa. Ce n'étaient ni des Tutsi ni des Hutu. C'était presque une ethnie à part. Mais lors de la colonisation on a vidé de sa substance le pouvoir royal. on disait qu'il n'était plus sacré. Certaines fêtes ont été interdites parce que contraires à la morale chrétienne. Vraiment la monarchie n'avait déjà plus de pouvoir de sorte que lorsque le roi est parti il ne restait déjà plus grand chose. C'était vraiment comme tu disais un pouvoir qui avait presque disparu. C'est vraiment dommage, car les gens ne se réfèrent plus à quelque chose qui les dépasse, qui est sacré, qui est au-dessus d'eux, c'est ça vraiment qui nous a tués et qui a fait qu'on est allé de catastrophe en catastrophe. Les Belges disaient : pour que les gens soient libres, il faut détruire tous ces pouvoirs, il faut chasser les chefs et on les a transformés en fonctionnaires et c'est là le début de notre tragédie. Le pouvoir actuel a perdu toute légitimité. Je crois que pour les pays qui ont encore des chefferies, c'est très important de réfléchir à ça.

P. : C'est un paradoxe quand on recherche l'égalité.

D. : Oui ! Mais c'est une royauté dont il disait qu'elle représentait pour les gens quelque chose d'autre que ce qu'ils étaient, un avenir ou une polarité de dépassement et je vois là une inégalité qui n'est qu'apparente parce que c'est en fait un témoignage du respect que l'on doit par exemple à un magistrat qui est le garant de ce quelque chose d'autre comme la justice. Le magistrat est dit supérieur au citoyen parce qu'il représente la justice pour tous. Ce n'est pas là une inégalité entre citoyens, c'est au contraire la garantie de l'égalité entre les citoyens, c'est ce que l'on appelait autrefois l'égalité proportionnelle : l'inégalité apparente est consentie moyennnant une égalité supérieure pour qu'il existe quelque chose de transcendant entre les individus. C'est le roi si l'on veut mais c'est surtout le magistrat et peut-être même que ce roi exerçait une fonction dans le domaine religieux et définissait le caractère sacré de certaines institutions ou de certaines valeurs. Donc plaquer dessus des conceptions occidentales de la royauté qui ont été en France en vigueur du temps de Louis XIV ou Louis XV qui relevaient peut-être du même principe mais qui avaient évolué dans un contexte différent pour devenir un pouvoir despotique et sans transcendance puisque la transcendance avait été évacuée sur le pouvoir religieux, c'est très risqué. Il vaudrait mieux garder les noms locaux en précisant leurs définitions : celles qui conviennent à ces autorités plutôt que d'employer les mots de roi ou de chef qui ont des contenus qui ne conviennent pas à la situation. S'il y avait par exemple à côté de ces royautés des religions séparées comme en France, protestante, juive ou catholique avec leurs hérésies, etc, le terme roi aurait peur être la signification qu'on lui donne ici, en France, mais ce n'est pas le cas.

Ururu : La devise du Burundi était "Imana (Dieu) u mwami (Roi) u Burundi (Pays) "... Après Dieu, c'était le roi qui venait ou Mwami. Quand on a chassé le roi en 1966 les gens ont refusé de planter le sorgho, plante symbolique de la monarchie, car c'était le roi qui bénissait les semences. Les gens disaient : il ne vaut plus la peine de planter du sorgho, il ne va plus pousser.

On ne pouvait pas dire du mal du roi quelque soit l'ethnie, et c'est pour nous christianiser que la monarchie a été vidée de sa substance et tout a péri, car elle incarnait la légitimité.

D. : Quand tu parlais de la substitution d'autorité de type religieuse, tu disais que la greffe n'a pas pris parce que c'était un catholicisme administratif. Mais la greffe n'a pas pris peut être parce qu'on a aussi coupé les racines. Il n'y a plus de références autochtones ! Et s'il n'y a pas de références qui le justifient, le pouvoir devient celui de la force. Les intérêts économiques deviennent puissants, mais surtout le pouvoir n'a plus d'autre raison que sa jouissance puisqu'il n'a plus de motivations transcendantales, ou léguées par l'histoire et la tradition ou créées par les relations communautaires.

P. : Le roi n'a pas été tué !

Ururu : Le roi est mort !

P. : Il a un successeur.

Ururu : Il y a eu un coup d'état militaire qui a aboli la monarchie

P : On peut dire que si la monarchie est consubstantielle à la société, et que si la royauté n'existe plus ce n'est qu'apparemment. Ça dort en fait, en attendant que le moment vienne.

Ururu : Il y a un parti politique qui réclame la restauration de la monarchie parce que du temps de la monarchie les gens ne se déchiraient pas et parce que le roi était un arbitre. Les gens ont commencé à se disputer le pouvoir parce qu'il n'y avait plus d'arbitre. Les gens ont dit d'abord non à la destitution de la monarchie pour la république, mais ensuite, par la force, ils ont fini par l'accepter. La jeunesse actuelle n'a plus connaissance de la monarchie. Pour elle la monarchie n'est plus une référence. Mais je suis convaincu que ce fut une grande erreur de supprimer la monarchie. Regardez ce qui se passe en Ouganda, qui est une république fédérée. Si vous regardez la Constitution de l'Ouganda vous voyez que l'on a restauré les anciens royaumes. Ça a calmé le pays.

Et puis, pour la religion, je sais que depuis l'indépendance, les prêtres n'ont plus beaucoup d'influence. Parce que lorsqu'ils détruisaient nos objets de culte et qu'ils mettaient en prison les gens qui continuaient à pratiquer notre religion, ce n'était pas très honnête. Ils croyaient qu'ils nous amenaient aux lumières, je crois qu'ils nous ont amenés aux ténèbres.

P. : Quel scénario vois tu pour l'avenir ?

Ururu : Je crois que sur le plan alimentaire il y a encore une marge de manoeuvre car il se perd beaucoup faute de techniques de conservation. Avec des techniques de conservation appropriées nous pourrions assurer les ressources alimentaires de toute la population.

Il y a aussi le problème de l'eau mais qui pourrait se réduire par de petits barrages de retenue.

Mais il y aussi le problème de l'occupation des terres. Il faut nécessairement trouver d'autres secteurs d'activité que cultiver la terre. L'habitat par exemple pourrait être amélioré. On pourrait produire des briques...

S. (Sénégal) : Il ne répond jamais, il s'en sort toujours. Demain nous serons encore là...(sic)

Fin