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conférence

 

LE REGIME FONCIER

DANS LA REGION DES GRANDS LACS

LE CAS DU BURUNDI AUJOURD'HUI

par

Frédéric URURU

(La voix de l'indépendance)

 

CONFERENCE-DEBAT

CAURIS

Vendredi 23 Janvier 2004
   
   

 
   
 

 

sommaire

La propriété du lignage

L'héritage de la terre

La contradiction du Droit foncier burandais et européen

L'orige de l'élevage

Débat : l'ubuhake

Questions annexes

   
       
   

Conférence
   
   

 

La propriété de lignage

Un des traits les plus caractéristiques du milieu rural c'est la propriété du lignage ( itongo ry'umuryango) itongo =exploitation agricole, umuryango = lignage : c'est moi qui l'exploite mais la propriété est celle du lignage mais il y avait ausi l'itongo ry'umuheto cela veut dire on a eu sa part d'un fait d'arme une propriété obtenue par mes mérites individuels de la part d'un chef ou du roi pour services rendus à l'Etat.

Chacun produit pour la famille contrairement à d'autres régions où l'on produit pour un grenier qui assure la redistribution à une famille étendue parfois plusieurs familles ou même tout un lignage. Kwimbura veut dire récolter mais il y a un autre terme Kwimbulira qui veut dire céder une partie de sa récolte à autrui. Autrui peut être le voisin indépendamment de toute relation de parenté. S'il n'a pas produit assez pour vivre lui et sa famille Kwimbulira signifie qu'une part de ma producion lui sera donnée. La production familiale est donc individuelle mais au niveau de la répartition de la production celle-ci doit tenir compte de l'autre. Exemple : si l'autre a perdu sa récolte par faute de la grêle je lui donnerai en compensation une part de ma récolte et réciproquement si cest mon champ qui est anéanti par la grêle, c'est lui qui m'assurera de quoi vivre. C'est dans ce sens que j'entends individualisation de la production.

La famille restreinte (père, mère et enfants) constitue l'unité de production et de consomation.

Elle est indépendante du lignage et des liens que pourraient impliquer la résidence commune et l'exploitation du même terroir de lignage par plusieurs familles.

La terre cultivée, qui est le facteur de production le plus important, a été délimitée pour tout le lignage par l'ancêtre fondateur du lignage pour lui et ses descendants. L'héritage et la propriété familiale de la terre s'inscritvent donc dans un territoire quasiment imprescriptible qui est propriété du lignage.

Comme la région des Grands Lacs est en grande partie montagneuse, les nombreuses collines sont devenues des unités naturelles d'habitat et de production.

Au Rwanda comme au Burundi, on utilise le terme "colline" "umusozi" pour désigner le lieu où l'on habite et où l'on possède sa terre.

Le domaine foncier d'un lignage porte le nom de itongo en Kirundi, et en Kinyarwanda, le nom de umugongo. En Kinyarwanda, le terme vient de kwica umugongo "tuer quelque chose de gros", c'est-à-dire défricher.

Chaque lignage (umuryango) se divise en petits groupes agnatiques (inzu). Les inzu (les descendants) restent très unis en dépit de ce qu'ils peuvent parfois être en opposition les uns les autres, surtout à cause des problèmes de répartition des terres du lignage.

La transmission de la terre ou l'héritage

La terre du lignage est inaliénable : elle ne peut être vendue, ni cédée sous aucune autre forme sans l'accord de tous les membres du lignage car tous ont un droit d'usufruit sur ce territoire.

A l'origine, l'ancêtre fondateur du lignage accorde une partie de l'itango à chacun de ses fils lors de son mariage.

Ensuite les descendants, à leur tour, hériteront de la terre directement de leur père. Les fils reçoivent la terre directement du père sans aucune interférence du lignage.

Ils peuvent solliciter une parcelle d'un oncle paternel dans le cas où leur père ne dispose pas de la superficie suffisante pour les satisfaire et si l'oncle lui-même n'a pas de descendance mâle qui aurait besoin de cette terre. La fille peut aussi demander à exploiter la propriété paternelle tout en élisant domicile chez son mari s'il y a des difficultés dans la famille de celui-ci.

Le régime foncier ne comporte aucune disposition ni aucune indication concernant l'étendue ou la disposition de la parcelle cédée. La délimitation de la terre cédée paraît donc relever de la seule discrétion du père, mais en réalité, la décision est prise en connivence avec la mère. La délibération qui précède toute décision est une délibération du couple et non pas un droit exclusif du père. Il faut distinguer la délibération qui appartient au couple familial de son expression qui est affichée par l'autorité paternelle. En cas d'injustice flagrante du père, de favoritisme par exemple excessif pour l'un de ses fils, les autres enfants et leur mère peuvent faire appel aux membres du lignage pour contester la décision du père et modifier sa décision. C'est un erreur de l'ethnologie occidentale d'avoir occulter ces dispositions et d'avoir présenté les choses comme si le père exerçait une autorité sans partage.

La coutume entraîne néanmoins un partage qui peut être inégalitaire entre les descendants. Et c'est là une cause de discorde entre les membres d'une même famille.

Le régime foncier montre donc une grande souplesse en ce qui concerne la sucession de la terre.

La succession et le partage se font selon plusieurs modèles acceptés par la coutume. Le plus généralement vers la fin de sa vie, le père demeurera avec son plus jeune fils sur une partie de sa propriété et partagera le reste entre tous ses autres fils. A sa mort, la parcelle sur laquelle il vivait peut être partagée entre tous les fils, ou bien donnée au benjamin en reconnaissance des services rendus pendant la vieillesse des parents.

Puisque le patrimoine foncier est partagé à chaque génération entre les fils, la surface disponible pour chaque famille diminue et il arrive un moment où certains membres du lignage seront obligés de quitter la colline natale.

Théoriquement, ils devraient défricher un nouveau itongo et fonder ainsi un nouveau lignage, mais les choses ne sont plus aussi simples qu'autrefois car aujourd'hui il n'y a plus ou presque plus de terres vacantes. Dans les régions qui sont désormais surpeuplées où le patrimoine foncier est donc restreint, même si le père donne à son fils aîné un lopin de terre pour qu'il puisse y construire sa hutte et cultiver un champ le fils doit chercher d'autres terres ailleurs et en attendant de trouver il doit louer des terres. Les familles, en effet, ne cultivent pas seulement leurs terres de lignage elles ont déjà dû coloniser d'autres terres qui n'étaient pas propices à l'agriculture ou qui n'étaient pas habitables à cause de la malaria et qui ont été mises en valeur très récemment. Là, elles ont pu disposer de superficies plus importantes et qui n'obéissent pas aux mêmes obligations que les terres de lignage. Les propriétaires peuvent alors louer ces terres.
le lignage ne peut assurer la distribution des terres nécessaires aux plus jeunes générations car il n'y a plus asez de réserves. Les familles sont alors contraintes de louer des terres sur des collines éloignées.

La solidarité à l'intérieur du lignage est donc mise à l'épreuve ainsi que la solidarité entre générations.

Dans certaines régions où la pression sur la terre est maximum, la propriété devient inférieure à un hectare par famille et certains des enfants sont obligés de s'expatrier pour s'installer ailleurs. Lorsque une occasion d'installation dans une autre région se présente pour l'un des fils obligé de quitter la colline toute la famille vient l'aider à défricher et à mettre en valeur la nouvelle exploitation.

Les autres frères suivront l'exemple et le patrimoine familial restera entre les mains du benjamin.

Un fils qui quitte la colline natale mais qui a hérité d'une terre conserve théoriquement son droit. Il peut le céder temporairement à ses frères ou l'accorder à l'un de ses fils.

Si le père meurt subitement sans avoir partagé la terre, la distribution a lieu en présence du chef du lignage et de quelques sages proches. Le partage se fait par la division de chaque champ paternel entre toute la descendance mâle. Ce mode d'héritage est l'origine d'un morcellement considérable de l'explotation agricole familiale.

Selon les experts occidentaux cette tradition empêche l'accumulation de la propriété et la modernisation de l'agriculture. La vision libérale dit qu'il vaut mieux qu'il y ait des "sans terres" et des grands propriétaires qui produiront pour les autres tandis que les autres iront dans d'autres secteurs de production. Une telle vision au Burundi est en réalité impossible à réaliser parce que les gens ne l'accepteraient pas (c'est même intellectuellement difficile à imaginer pour nous). Les Burundais ont des rapports affectifs avec la terre du lignage et pas seulement des rapports économiques au sens libéral du terme : par exemple même les fonctionnaires continuent d'exploiter des terres y compris à perte lorsque cette exploitation est économiquement non rentable car c'est une obligation morale vis-à-vis des aïeux que leur terre soit entretenue et cultivée.

On dit que la vision des Burundais est différente de la vision des libéraux parce qu'elle n'est pas seulement utilitariste mais symbolique. Il ne faut toutefois pas opposer économique et symbolique. La vision dite symbolique de la terre des Burundais est économique tout autant que celle des capitalistes. Symbolique cela veut dire que la terre est considérée comme un habitat qui doit nourrir tous ses habitants sans exclusion et non pas seulement comme un facteur de production pour une économie privée ou utilitariste. La monoculture par exemple est difficile à imaginer chez nous car cela voudrait dire produire pour le maché spéculatif mais si d'un côté ceux qui sont dans l'obligation de quitter la terre gardent leurs droits ancestraux et peuvent à tout instant les invoquer pour revenir sur leurs terres et si les plus fortunés ne peuvent pas ne pas secourir ceux qui sont dans l'infortune il est inimaginable que l'on puisse commercialiser la terre. Que ce soit dans un sens ou l'autre, du point de vue des plus grands propriétaires ou des plus petits il est impossible d'entrevoir le capitalisme agraire comme une solution économique de type burandais. Les bailleurs de fonds ont demandé que l'on change le Droit foncier (ils ont demandé par l'intermédiaire de la Banque mondiale que l'on puisse hypothéquer et vendre la terre, c'est-à-dire l'inverse de ce que prescrit le Droit foncier au Burundi). Mais les gens ont continué comme si le code n'avait pas changé.

Traditionnellement, les filles n'héritent pas du patrimoine foncier.
Au cas où il n'y a pas de descendance mâle dans une famille, ce sont les frères ou les neveux du défunt qui héritent.
Cependant les filles disposent de la jouissance des terres paternelles jusqu'à leur mariage.

Il arrive parfois qu'une fille unique reste sur le patrimoine foncier de ses parents et y fasse venir son mari. Le lignage ne souhaite pas un tel arrangement car cela signifie que les filles qui adoptent au moment du mariage le lignage de leur époux, transférent la terre d'un lignage à l'autre mais ils respectent la décision de la fille.

Par contre une fille peut aisément réclamer la terre paternelle qui n'appartient pas au lignage c'est-à-dire les champs reçus des autorités politiques pour des services rendus à l'Etat , ou encore des terres données par des amis ou achetées.

Les veuves ont également un droit d'usufruit sur les terres de leur conjoint.

La terre en usufruit reste entre les mains de la veuve à condition qu'elle soit capable de la cultiver. Sinon elle la cède au benjamin ou au petit fils.

A défaut de successeur, le terrain retombe dans le fonds du lignage ou dans la réserve de la commune.

Mais aucune parcelle de terre du lignage ne peut être vendue.

 

Qu'en est-il de la rencontre du Droit foncier burundais et du régime foncier européen ?

En fait le problème ne s'est pas posé de façon cruciale car il n'y avait pas de terres sur lesquelles les colons européens puissent fonder leurs propriétés. Il n'y a pas eu de colonisation agraire à proprement parler.

Les autorités politiques du Burundi postcolonial ont gardé le principe du système foncier traditionnel selon lequel la terre appartient à toute la population et qu'elle est donc inaliénable. Toutes les terres du pays sont propriété du gouvernement et à travers lui du peuple entier.


Le gouvernement délègue aux communes le pouvoir de répartition ou de gestion des terres inoccupées vacantes ou délaissées.
La commune peut accorder deux hectares par personne à ceux qui sont démunis de terres..
Les terres cultivées dans la vallée sont considérées comme communales et données en usufruit aux habitants des collines avoisinantes. Les espaces non utilisés individuellement sont dits communaux et peuvent être utilisés comme pâturages par tous les habitants de la commune.

L'inaliénabilité de la terre est cependant moins rigoureuse que dans le Droit foncier traditionnel. Aujourd'hui on peut concevoir une vente ou une cession. Mais cet acte est soumis à beaucoup de conditions dues au poids réel de la Tradition.

Les terres attribuées par la commune ne peuvent être vendues qu'après leur mise en valeur en fonction du principe suivant : le travail améliore la terre et il est normal que la famille qui l'a mise en valeur en retire un profit lors de la cession des lieux.

Une terre mise en valeur par une famille reste à sa disposition tant qu'elle est cultivée. L'arrêt de l'exploitation entraîne la perte de la parcelle en question et celle-ci peut être cédée à un autre paysan par la commune.

La terre ainsi exploitée est en réalité occupée à titre individuel et quasi privé. Elle peut être héritée, et la possibilité de la louer permet d'échapper à l'obligation de son exploitation permanente.

En ce qui concerne les terrains boisés, la terre qui porte les arbres appartient à la commune, seuls les arbres sont privés.

D'une manière générale, l'augmentation de la population n'a pas été accompagnée d'une augmentation proportionnelle de la production agricole.

Au contraire, sur une même unité de surface, chaque nouvelle génération produit moins que la précédente. La surexploitation a supprimé la jachère et provoqué l'appauvrissement des sols.

Dans ce contexte de raréfaction des terres, consécutive à la pression démographique et à la sur-exploitation, la pratique associée de l'agriculture et de l'élevage devient vitale.

Il en a peut-être été toujours ainsi.

C'est pourquoi il faut étudier comment s'acquiert le capital bétail.

Mais le système burundais répartit les moyens de production selon le principe de l'équité et interdit que se constitue un prolétariat sans terre. Il n'y a pas de sans-terre au Burundi.

Dans le régime traditionnel, les terres libres d'occupation agricole peuvent servir au pâturage, ou encore de terrain de chasse ou de ceuillette.

L'origine de l'élevage

Les recherches historiques récentes basées sur des fouilles archéologiques ont démontré la nullité scientifique des allégations des Pères blancs sur le peuplement et les activités socio-économiques des différentes ethnies qui habitent la région.

D'après le professeur Bernard Lugan :

« Les Hutu descendent largement des bantuphones, qui il y a au moins trois millénaires, entreprirent à partir de l'Ouest une migration qui leur permit de peupler une vaste partie du continent. Ayant atteint la région interlacustre durant le dernier millénaire avant Jésus christ, ils trouvèrent des pasteurs déjà installés quelques siècles avant eux, soit vers 1500 avant Jésus Christ. Ces pasteurs sont les ancêtres de la plupart des Tutsi. Ils parlaient probablement des langues nilo-sahariennes. Ils seraient arrivés dans la région à la suite de migrations liées aux phases finales de l'assèchement du Sahara. Durant un millénaire descendants des pionniers bantuphones et descendants des migrants pastoraux vécurent sur la même terre créant et partageant une histoire commune ».

Les écrits diffusés depuis le contact des Européens avec la région opposant les éleveurs arrivés récemment avec leurs vaches aux longues cornes et les agriculteurs de l'autre, sont loin de représenter la réalité.
La réalité est que les Hutu agriculteurs possédaient des troupeaux qui étaient leur propriété et qui n'avaient rien à voir avec l'ubuhake.

Beaucoup de lignages hutu possédaient du bétail en quantité supérieure aux tutsi.

Mais comment les familles qui n'avaient pas assez de vaches et qui en avaient besoin pour leurs activités agricoles pouvaient-elles s'en procurer  ?

C'est le contrat d'ubuhake au Rwanda et d'ubugabire au Burundi qui le permettait. Néanmoins Le contrat d'ubuhake a d'autre fonctions que la distribution des vaches : il crée entre les familles et avec le plus grand nombre de gens ou encore avec les plus influents un lien social voire en cas de difficultés un recours politique et même militaire pour assurer au moins la paix sociale.

L'ubuhake est un engagement volontaire par lequel une personne appelée umugaragu se recommande à une autre personne d'un rang social plus élevé appelé shebuja. A la suite de cette alliance le shebuja confiait à l'umugaragu des vaches demandées. L'ubuhake débute avec l'octroi du bétail. En contre partie l'umugaragu doit l'entraide et une certaine quantité de produits vivriers. L'umuguragu possédant déjà des vaches, a, lui des obligations différentes. Il est en effet conseiller, messager, informateur, compagnon d'armes, en résumé un instrument d'influence sociale et politique entre les mains de son maître. Le shebuja a lui aussi un shebuja plus puissant que lui. Au sommet de la pyramide il y a le mwami, maître suprême du pays.

Le rapport de réciprocité qui fonctionnait en milieu pastoral sous le nom de l'ubuhake depuis des temps immémoriaux a évolué de plus en plus en un rapport inégalitaire entre éleveurs et agriculteurs. L'ubuhake présenta de plus en plus les caractères d'une relation politico-administrative, s'imbriquant avec le réseau des pouvoirs.

Au Burundi, l'ubugabire assocait entre eux Batutsi ou Bahutu selon toutes sortes de configurations. Les prestations de cruches de bière, de sorgho ou de bananes et de vaches étaient au coeur de la vie sociale.

Les pâturages appartiennent aux animaux. Cela veut dire que les pâturages sont en principe des biens plublics et qu'ils ne peuvent pas être privatisés. Les hommes ont droit sur les pâturages qu'en tant que propriétaires du bétail.

 

 On trouvera une bibliographie exhaustive dans :

Jean-Pierre CHRETIEN

L'Afrique des Grands Lacs. Deux mille ans d'histoire.

Aubier (2000).

et

Bernard LUGAN

Rwanda, le génocide l'Eglise et la démocratie.

Editions du Rocher (2004)

   

Débat
   
   

 

1) La première question porte sur le droit des femmes. L'intervenant demande si les femmes n'ont aucune part à la propriété et à l'héritage.

Le conférencier explique que l'héritage ne se pratique pas comme en Europe au décès des parents mais déjà de leur vivant lors du mariage des enfants. Dès lors, ce ne sont pas les hommes qui héritent mais les couples mariés. Si l'homme meurt, la femme n'est pas déshéritée : elle et ses enfants bénéficient de la terre donnée par le père.

Les enfants non mariés continuent de vivre sur les terres de leurs parents. A la mort des parents, les filles non mariées peuvent garder l'usufruit des terres de leurs parents, qu'elles peuvent cultiver seules ou avec leurs plus jeunes frères.

La notion d'héritage n'est donc pas la même que dans les pays occidentaux : ce n'est pas l'individu qui hérite prioritairement mais le couple qui crée une famille.

2) La seconde question porte sur la façon dont les usagers des pâturages s'entendent pour faire pastourer leurs troupeaux et les règles concernant l'élevage.

Le conférencier explique qu'il faut distinguer plusieurs catégories de terres :

- Par terres de lignage on entend la propriété inaliénable du lignage. Si vous destinez une partie de cette terre au pâturage chacun applique ses propres règles.

- Les terres communales sont de plusieurs sortes :

- Celles qui sont allouées aux propriétaires lignagers mitoyens et sur lesquelles les propriétaires appliquent leurs propres règles.

- Celles qui peuvent être allouées à des fins agricoles à des nouveaux venus (jusqu'à deux hectares par personne),

- Enfin, les terres collectives sur lesquelles, les bergers font paître leurs troupeaux ensemble.

Sur ces terres on dit :

  « Les pâturages appartiennent aux animaux »

Cela veut dire qu'ils peuvent être pastourés par tout le monde.

3) La troisième question porte sur l'origine des troupeaux.

Le conférencier dit qu'il existe deux sortes de bétail :

1) - dans le domaine agricole la vache a une fonction d'usage parce que l'agriculture est beaucoup plus productive avec l'engrais que sans engrais. Depuis des temps immémoriaux les paysans qu'ils soient hutu ou tutsi ont des vaches en fonction de leur usage agricole.

« La croissance démographique accentue l'intégration de l'agriculture et de l'élevage car le rendement agricole ne progresse pas aussi vite que la population, et les gens qui peuvent associer élevage et agriculture (c'est-à-dire qui peuvent fûmer la terre) ont des chances d'avoir une production meilleure que ceux qui ne peuvent pas bénéficier de cette association. Pendant la saison sèche on transhumait mais aujourd'hui les terres de transhumance sont de plus en plus cultivées, et l'on doit nourrir les vaches avec du fourrage. Le manque de fourrage diminue les possibilités de l'élevage extensif et partout l'élevage est associé à l'agriculture. Plus personne ne vit exclusivement de l'élevage. On ne trouve de purs éleveurs qu'en Tanzanie et un peu au Kenya ».

 

2) - dans le domaine symbolique la vache a une fonction sociale appelée l'ubuhake,

- le don d'une vache est destiné à étendre les relations sociales entre les uns et les autres, car la vache est le cadeau des cadeaux, le cadeau de référence.

- Sa demande était pratiquée avec le pouvoir afin de bénéficier d'une protection et de se faire respecter d'autrui.

- Elle est donc devenue un signe extérieur de richesse ou de prestige social,

 

- Enfin la possession d'une vache donnée par une personne d'un haut rang social signifie un accomplissement personnel pour celui qui la reçoit parce qu'elle lui permet d'avoir une influence sur le donateur et de participer à la conduite des affaires du pays.

 « On a prétendu qu'il y avait un groupe ethnique qui possédait les vaches et un autre qui n'en avait pas. Je crois que ce n'est pas du tout la réalité.


Quand les Européens sont arrivés, ils ont cru que les gens qui n'avaient pas de vaches étaient les Hutu et que les gens qui avaient des vaches étaient les Tutsi. Or, les deux groupes ethniques avaient des vaches. Tout le monde pouvait avoir des vaches.
On a raconté que les vaches étaient récentes dans la région des Grands Lacs. Mais les recherches archéologiques ont montré qu'à l'origine l'élevage est plus ancien que ce qu'ont dit les missionnaires ».

« L'ubuhake c'était quoi ? Certains Européens l'ont appelé système féodal, d'autres l'ont appelé servage pastoral mais en réalité c'était un engagement volontaire entre une personne appelée umugaragu qui se recommandait à une autre de rang social plus élevé appelé shebuja. A la suite de cette alliance le shebuja confiait à l'umugaragu une ou plusieurs vaches. La contrepartie variait d'un lieu à l'autre. Par exemple, chez moi on donnait une fois par an une cruche de bière en signe de reconnaissance. Je crois vraiment que la personne qui recevait la vache recevait plus qu'elle ne donnait. D'autres pouvaient demander des travaux manuels d'entre-aide en contre partie mais grosso modo, la personne qui recevait la vache en tirait plus qu'elle ne donnait.

Je voudrais vous dire comment un prêtre étranger interprétait lui l'ubuhake :

« Le don d'une vache était le produit de la domination de l'ethnie tutsi qui s'exercait dans des structures apparentée à la féodalité européenne »

Pour lui c'était la féodalité européenne.

« Les bovins, voilà bien ce sur quoi les batutsi exercaient leur domination».

Pour lui, il s'agissait d'une domination dont la vache était le moyen.

« En vue d'obtenir protection et secours variés, les Hutu se mettaient à la botte du seigneur, puissant chef ou non, et se proclamaient son homme et son serf. Loin de penser l'origine de cette dépendance astreignante (...) ils la vantaient constamment et l'affichaient en toute occasion ».

En fait c'est le contraire : on s'honorait d'avoir reçu une vache car c'était un cadeau très important dans votre vie sur le plan économique mais aussi sur le plan sentimental. C'est le plus beau cadeau que l'on pouvait donner du moins dans notre vision du monde. Dans la poésie pastorale on chantait celui qui vous avait donné une vache car c'était la valeur symbolique de référence.

Et le contrat d'ubuhake ne se passait pas seulement entre Hutu et Tutsi, mais entre Tutsi. Chacun pouvait aller voir un chef ou une personne de la famille royale, même si elle avait beaucoup de vaches car le fait de recevoir une vache d'une personne qui venait de la Cour était un honneur, même si on avait 150 ou 200 vaches ! Ce n'est plus dans le domaine économique mais véritablement symbolique que c'était un honneur, un accomplissement personnel.

Aujourd'hui, la possession d'une vache signifie un investissement matériel ou une garantie plus qu'une valeur sociale. Elle signifie pour un jeune homme par exemple qu'il dispose d'un capital et qu'il est capable de se marier. Les jeunes gens qui gagnent de l'argent achètent souvent une ou deux vaches. Maintenant c'est l'homme riche qui a des vaches pour cultiver ses terres ».

 « Un autre moyen d'acquisition des vaches était l'héritage des parents et aussi la dot. Mais cela ne veut pas dire que l'on achetait une femme avec des vaches ! Non ce n'est pas comme ça qu'on pensait la chose. Un garçon qui demandait un fille en mariage, devait donner des vaches mais cela dépendait du nombre de vaches qu'il possédait, pas de la fille. En contrepartie la belle-famille pouvait aussi donner des vaches, lors des naissances par exemple, de sorte que ce n'était pas dans un contexte commercial qu'était pratiqué le don de vaches quand on demandait la main d'une fille ».

 « Jadis on pouvait aussi acquérir un vache par l'achat ou par l'échange comme dans l'économie actuelle. par exemple on pouvait échanger une vache contre des bijoux ou des cauris ».
   
   

 

Questions annexes
   
   

 

Y a-t-il des terres dont les bénéfices sont réservés aux orphelins ?

« Les orphelins de père et mère sont élevés par la famille proche qui exploite la terre de leurs parents pour qu'ils puissent en bénéficier mais on ne touche pas à leur propriété. Quand ils seront adultes ils deviendront propriétaires ».

Quelle est l'importance de la polygamie ?

« La principale raison de la polygamie était l'occupation de plus de terres mais avec la pression démographique cette motivation disparaît et la polygamie avec ».

Autrefois y avait-il des conflits et de quel type pour la possession des terres ?

« C'est aujourd'hui qu'il y a des conflits entre lignages car autrefois il y avait plus de terres que l'on ne pouvait en défricher ».

Mais autrefois sur les collines cultivées qui étaient très riches comme les collines volcaniques du Nord Cameroun n'y avait-il pas surpeuplement  ?

« Effectivement, il y avait des régions très peuplées parce que la terre était très riche mais il n'y avait pas plus de trente ou quarante personnes par colline. D'autre part l'agriculture produisait plus qu'aujourd'hui parce que l'on pouvait laisser reposer la terre. Avec la pression démographique les terres sont surexploitées depuis une ou deux générations ».

Entre le Droit occidental et la Droit rwandais comment se passent les choses au niveau du régime foncier ?

« Dans les années 80, la Banque mondiale a recommandé la réforme du Droit foncier. Elle voulait que les emprunteurs puissent hypothéquer leurs terres. Mais cela n'a pas été possible parce que la terre appartient au lignage et qu'il est impossible d'hypothèquer le bien d'autrui ».

Si la vache engendrait un veau à qui appartenait-il ?

« Dans l'ubuhake il appartenait au donataire car les vaches données pouvaient servir à des usages mais elles avaient une valeur symbolique et si les vaches avaient une descendance la réciprocité signifiait que le donataire redonne une ou des vaches à son donateur pour entretenir le symbole et l'amitié. Mais il y avait un autre système d'acquisition des vaches : lorsque vous aviez besoin d'une vache pour le fumier ou le beurre, pour fertiliser les champs, alors vous pouviez emprunter des vaches et dans ce cas la vache demeurait la propriété du prêteur et bien entendu le veau aussi ».

L'ubuhake permettait donc de devenir propriétaire des vaches ? De bétail et de s'affranchir de toute tutelle ?

« On pouvait ainsi devenir propriétaire mais c'était aussi un moyen de se protéger des appêtits des petits chefs. On se mettait sous la protection des grands chefs puisque l'ubuhake était un rapport de réciprocité qui créait un lien d'amitié ou de fidélité entre l'un et l'autre ».

Est-ce le contraire du servage que vous décrivez là ?

Il y avait d'une part l'usage de la vache qui motivait sa demande mais d'autre part le besoin d'une protection, le fait de vouloir être respecté. Le fait d'avoir reçu une vache d'un chef signifiait que l'on était respectable. Ce n'était pas un régime très juste mais les choses se passaient ainsi.

Comment s'appelait la vache ?

Inka ! Il y avait des noms différents pour dire si la vache était possédée pour son usage par les agriculteurs ou si elles avaient été obtenues par ubuhake.

La colonisation n'a-t-elle pas modifié les pratiques agricoles, n'y a-t-il pas eu des cultures de rente comme le café, etc., qui sont venues affronter la culture traditionnelle ?

Non ! Le café a été intégré comme s'il était une énième culture vivrière dans le cadre de la culture traditionnelle, car il n'y a pas d'espace pour des exploitations fondées sur la monoculture.

Certains interprètes estiment que la colonisation a permis la sédentarisation des agriculteurs : au fur et à mesure que le front de la plantation avançait, de nouveaux agriculteurs ont constitué le paysan moderne. Est-ce que cette thèse se justifie au Rwanda et au Burundi ?

Non ! La colonisation a trouvé des régions déjà très peuplées et organisées du point de vue de l'agriculture. A cause de la surpopulation on a colonisé marginalement des régions dites pauvres ou insalubres telles que les régions infestées par la malaria. On octroyait aux nouveaux paysans quatre hectares et même des extensions plus importantes mais cela n'empêchait pas qu'ils héritaient de leurs parents et qu'ils revendiquaient leurs terres ou leurs droits. Les gens préféraient rester chez eux au moins en droit car cela eut été un déshonneur que d'abandonner la terre des ancêtres.

 Le territoire du lignage se dit itango ce qui veut dire "qui assure la subsistance" "qui fait vivre" et l'on se nomme soi-même du nom de la colline où l'on habite, de la colline de sa famille et de ses ancêtres.

 Les autorités ont conservé l'idée que la terre est un bien inaliénable qui appartient à la population entière. Traditionnellement on ne pouvait pas vendre la terre. Il fallait l'accord de tout le lignage pour céder une terre. L'idée est que à travers le lignage le peuple entier est propriétaire

 

 Le Droit foncier au Burundi et au Rwanda a enrayé l'application du code civil napoléonien qui soumet toute prestation au droit de propriété de l'individu sans considération pour la qualité du travail humain ni pour la nature.

l'Etat au Burundi a conservé le Droit de la Terre. l'Etat a fait respecter le droit d'héritage selon la norme traditionnelle : ce n'est pas l'individu qui impose son intérêt privé mais le couple.

De la même façon, il a conservé la structure traditionnelle de la terre et le mode de sa répartition égalitaire puisqu'il n'y a pas de «sans terre» au Burundi où la terre a pour fonction de donner protection et subsistance à tous ses habitants, malgré le fait que certains disent que ce mode d'exploitation ne résoudra pas le problème de l'autosuffisance alimentaire et veulent soumettre son exploitation à la loi du profit.

Enfin au Burundi, le cheptel garde ses deux fonctions d'usage et de symbole selon des pratiques sociales qui ne ressortissent pas au domaine de l'échange mais à celui de la réciprocité et de la production du lien social.

 

Fin