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CAURIS

DERMA

Histoire et Forme sociale

Débat du Vendredi 7 février 2003

résumé par

Abdourahmane SECK

 

Lors de la dernière séance de travail, on s'est dit qu'il était important de re-préciser sur le plan théorique des notions qui constituaient le matériau de base de notre travail, à savoir : Histoire et Forme sociale. Donc, on a essayé de faire un travail de définition de ces termes-là en les entendant en fait comme des structures qui font sens en Afrique.

Par Histoire, ce qu'on avait retenu, qu'on pouvait retenir dans un premier temps, c'est qu'elle constituait un espace de sens qui se doublait en même temps, d'un espace de vie. Et cela avait suscité quelques réactions, donc il fallait à un moment donné qu'on approfondisse un peu la question. Et les discussions nous avaient amenés donc à voir que, en réalité, par " espace de sens et espace de vie ", il fallait entendre un ensemble de moyens intellectuels que les Africains se donnaient pour rationaliser leur être au Monde. La façon dont ils vivaient leur présence dans le Monde. La manière ou les différentes manières à travers lesquelles ils donnaient un but à leurs performances humaines et sociales.

Un exemple, simplement, que l'on pourrait dire, (la question que l'on a, un tout petit peu, taquinée tout à l'heure), la question du développement de l'individu, de l'homme ou de sa réussite. Donc on sait qu'en Afrique, il y a ce souci de la réussite, comme on dit chez nous, mais qui n'est pas simplement accomplissement exclusivement de soi, un point basta, tout ce qui est sur son nombril, mais en rapport, en général, avec des considérations multiples, assez communautaires, pour ne pas dire communautaristes. Donc, pour faire honneur à ses parents, par exemple, on veut réussir, on veut s'en sortir parce qu'il faut faire honneur à ses parents, parce qu'il faut se donner les moyens d'être solidaire avec sa communauté, etc.. Et ça, c'est ce que j'ai appelé, d'une certaine manière, les moyens intellectuels donc de fixer, de situer sa présence dans le Monde. Et également espace de vie qui a été beaucoup plus compliqué à mettre en place.

En illustration, à la suite de toutes les discussions qu'on a eues autour des livres de P. Chabal, de J.F. Bayard, etc, nous révélant la difficulté que précisément les spécialistes des questions africaines avaient de dire ou de situer l'Afrique dans l'économie des relations internationales ou des façons de faire la politique, difficulté finalement qui révélait un ensemble de stratégies que les Africains eux-mêmes mettaient en place en termes de dérobades, en termes de négociations, de ruses avec le système capitalisme international qui les englobait et auquel ils participaient selon un jeu qui démontrait à son tour l'existence d'un espace de vie qui accompagnait et ordonnait les attitudes recensées, tout cela donc faisait que... C'est comme si en fait les Africains participaient à la fois d'un espace global et contraignant et en même temps se donnaient chaque fois et constamment les moyens de garder une autonomie, une liberté par rapport à cet espace-là.

Mais la question Histoire et Forme sociale a aussi posé quelque chose que l'on pourrait résumer de la sorte, c'est-à-dire qu'elle nous a mis devant une situation presque de face à face. D'un côté la toute puissance de Soi, et dans ce Soi-là il faut entendre Histoire, Culture, Héritage ; de l'autre la toute présence de l'Autre avec un grand A. Mais encore, dans le même temps notre co-présence, une participation à l'Autre de même que également la participation de l'Autre à notre Soi.

Donc, c'est une manière pour nous de bien voir que nous ne partions pas à la pêche à la culture, que nous sommes dans quelque chose qui est dynamique, qui bouge. Ce qui fait, ce qui constitue même le fait que nous soyons ensembles, que nous nous réclamons de la même "chose". Ce qui fait ça, c'est quelque chose qui est soumis à des changements, à des déplacements. Et donc, fondamentalement, on a posé le problème, ou en tout cas la problématique, du changement et de la permanence. Entre Histoire et Forme sociale, une problématique s'est intercalée, du changement et de la permanence. Et donc, la question qu'on a essayé, en rapport avec ça, de poser, c'était de trouver en fait le type ou les types de rapports dialectiques qui pouvaient exister entre ces deux ordres de choses-là.

C'est ce que, d'une certaine manière, l'introduction avait dégagé comme éléments, et les débats ont été vraiment très très intéressants. Parce que simplement la question de la définition de l'Histoire s'est posée. Certains n'ont pas compris pourquoi on insistait tellement sur l'Histoire, alors que manifestement le mot posait problème et qu'il fallait trouver autre chose. Et c'est là, en fait, que les difficultés qu'on a eues pour rendre compte du mot Histoire, nous ont amenés à rencontrer notre propre situation historique, en tant que personnes acculturées, en tant que personnes réfléchissant et agissant depuis des bases excentrées, donc liées à notre propre histoire coloniale et par la suite intellectuelle et tout ce qu'on voudra.

On peut penser que le travail d'acculturation de l'idéologie coloniale, en confisquant les voies d'accès à notre propre passé et en imposant l'usage de son propre vocabulaire, a amené les Africains à ne pouvoir plus avoir accès à leur propre histoire que par l'intermédiaire de son vocabulaire. Donc, le problème de l'idéologie coloniale a posé des problèmes linguistiques, des problèmes de dangers linguistiques, qui à leur tour nous ont amenés à interroger finalement les langues africaines.

Or, dans les langues africaines, il s'est passé quelque chose de très intéressant qu'on a vu. On a vu qu'en réalité, lorsque nous, nous utilisons le mot "Histoire", Mariam posait la question de savoir si l'Histoire n'était pas simplement la Culture ? Parce que la remarque qu'on avait faite c'était que, en général, lorsqu'on discutait avec des Africains ou bien lorsque des Africains discutaient ensemble, il y avait beaucoup de choses qui, d'une manière ou d'une autre, les ramenaient à l'Histoire, et c'est ça qu'on avait dit comme formule. Et Mariam disait en fait : est-ce que c'est vraiment de l'Histoire dont vous parlez, ou bien de la Culture ? Donc la question est-ce que Histoire = Culture s'est mise à bouger ,et donc on a vu que dans certaines langues africaines, le mot "Histoire" presque leur était venu de leur contact avec l'Occident. Mais "Histoire" leur était venu avec l'Occident qu'en signifiant en fait "l'étude des événements passés".

En tout cas, dans la plupart des langues africaines, ce mot-là ne leur était venu qu'en désignant ça, désignant donc la discipline historique, donc l'étude des événements du passé. C'était ça, ce que ça signifiait chez eux, enfin c'est comme ça qu'ils l'ont donc appris à l'école. Mais ce qu'il faut voir c'est qu'au-delà de cette signification-là, le mot "Histoire" également, dans l'usage que l'Occident colonisateur en a fait, c'était de pouvoir désigner ce que, nous, on était. Ce que les Africains étaient. Donc, ce que véritablement les Africains étaient, c'était l'Histoire, c'est-à-dire ce qui a été convoqué d'une certaine manière, ou en tout cas, a été relégué dans l'Histoire, dans le Passé. Parce que, dorénavant, ils devaient être autre chose. Ce qui fait donc qu'on se retrouve avec un mot "Histoire" qui veut dire non seulement "l'étude des faits passés" lorsqu'on est à l'école, mais dans la vie courante, dans la vie politique de tous les jours, qui était dorénavant assimilé à (enfin quand un Africain utilisait le mot), qui était assimilé à quelque chose qui représentait son être révolu, son être désormais révolu. Parce qu'il était maintenant appelé à être autre chose, sous l'action coloniale.

Dans leurs actions ordinaires de leurs vies sociales : renforcer des liens de parenté, d'amitié, faire de la redistribution, organiser une oeuvre sociale, les Africains s'expriment dans des situations et un temps bien présent mais en même temps toujours vécu comme leur passé, leur histoire. C'est quand même une situation un peu extraordinaire. C'est une situation qui quand même frappe l'attention. Et donc, on s'est dit : mais peut-être qu'il y a un problème avec le mot "Histoire" ! Donc, qu'il faut essayer de voir autre chose. Et c'est là justement qu'on s'est rendu compte, qu'en réalité, il n'était pas vraiment opératoire pour beaucoup de raisons, et que dans les cultures africaines, lorsque l'on prend par exemple la culture Wolof, il existait des mots qui disaient beaucoup de choses et qui exprimaient tout à fait ce que par exemple dans la conférence-là, Massaër Diallo a essayé d'expliquer en montrant que la Tradition est quelque chose aussi de dynamique.

En étant dans le cercle linguistique local africain, le mot "mbaah" ne renferme pas quelque chose qui ne peut pas évoluer ! C'est quelque chose qui n'est pas frappé d'impossibilité de changement. Ce qui est différent par exemple du mot "chosan" qui renverrait à "l'Origine", mais qu'on ne peut pas changer, d'une certaine manière. Parce que c'est les événements qui se sont passés comme ça, ça s'inscrit dans un certain naturel. Et le mot "aada " qui aussi signifie quelque chose d'assez proche de "mbaah " avec peut-être une petite différence. Mais ce qui quand même est important ici, c'est de voir que, finalement, on se retrouve devant trois expressions qui sont censées nous dire le passé de cette partie de l'Afrique, mais qui pour d'eux d'entre elles au moins n'est en rien réfractaire au mouvement, au changement. Ce qui est remarquable ici, c'est de voir que précisément, en dépassant le mot "Histoire" tel qu'il confine l'Africain dans une double identité, une identité déclinée sur le mode du révolu, du condamné, du clandestin ; et une identité sur le mode de l'impératif, ce qu'il doit désormais être, ce qu'il faut qu'il soit, à partir du moment où on fait sauter ce verrou-là, qui découle d'un rapport politique de domination, on tombe sur des mots qui permettent de redonner de la vie, de redonner du souffle à un espace que l'on a présenté avec force comme un espace mort, comme un espace figé. Et donc, c'était quand même une découverte comme ça qu'on a eue dans la discussion, qui était très intéressante.

Et ça c'était dans la langue Wolof, et dans la langue de Fred, c'était encore beaucoup plus intéressant ! Dans le Kirwandais, l'idée de quelque chose qui est "figé" n'est presque pas linguistiquement admis. Donc, que les choses sont en permanence dans une dynamique, dans quelque chose qui bouge. Mais malheureusement, notre rapport à ce mouvement-là, puisqu'il transite par un mot étranger qui en rend compte sur le mode muséographique, donc, évidemment, on ne perçoit pas le mouvement. On perçoit quelque chose qui nous amène, Saloum et moi, à considérer qu'on peut aller retrouver quelque chose. L'opération intellectuelle qui consiste à penser qu'on va aller retrouver quelque chose, suppose que cette chose-là nous ait attendus quelque part. Alors que bon, en réalité, lorsqu'on interroge nos langues, on se rend compte qu'en fait, tout à l'heure, je disais qu'on pouvait enlever le mot dynamique pour mettre celui de dynamite !

Il y a eu des interrogations également dans la discussion qui sont apparues, et les interventions de Matt ont été très intéressantes parce que Matt en introduisant les mots de "talls" et de "history" n'était pas d'accord avec tous ce qu'on disait mais ce qui apparaissait dans ses interventions, c'était que pour lui, qui est issu d'une culture étrangère mais anglophone, contrairement à ceux qui étaient autour de la table, "Histoire" n'avait rien à voir avec "Culture", mais il expliquait que chez lui quand même le sens qu'il mettait dans "Histoire", c'était celui du sens de "talls" contes, et "History" au sens de ce qui rejoint l'enseignement de la discipline, la matière.

Voilà en résumé ce qui a été discuté ce jour-là.