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 MODERNITE COMMUNICATIONNELLE

et

COMMUNICATION ORALE TRADITIONNELLE

L'EXEMPLE DU JOTTALI

 

CONFERENCE

DONNEE DANS LE CADRE DE CAURIS

par

Mouhamed Abdallah LY

Octobre 2006


Université Paul Valéry (Montpellier III)
DIPRALANG
lymou@voila.fr
   

 

 

 

 

 

Résumé

Le jottali est un exercice de communication orale souvent employé dans les pays d'Afrique au sud du Sahara comme le Sénégal lors des manifestations culturelles et cultuelles. Il consiste pour un locuteur (B), généralement un griot, à transmettre les propos d'un co-énonciateur (A) à ses destinataires (C). Mais pourquoi A éprouve-t-il le besoin de s'adresser à C par l'entremise de B alors qu'ils partagent tous le même espace discursif et parlent la même langue ' Pourquoi B fait-il généralement partie de la catégorie sociale des griots ' L'auteur répond à ces questions en mettant à jour deux fonctions dites d'amplification et de médiation. Il montre également les transformations qui contaminent le jottali à partir de l'avènement de la modernité communicationnelle (libéralisation des médias, émergence des NTIC, globalisation de l'information etc.) et pose la question de son avenir.

Mots clés : Sénégal, jottali, oralité, sociolinguistique, communication, amplification, médiation, confrérie, griot.

 

   
   

 

Introduction

Cette communication est extraite d'une réflexion sociolinguistique globale et personnelle. Elle se situe dans un cadre " global " parce qu'elle relève d'une analyse scientifique, un travail de thèse, qui porte sur l'impact des croyances religieuses, de la religiosité, du sacré sur les comportements langagiers dans le contexte africain en général et sénégalais en particulier.
La caractéristique " personnelle " se justifie par le fait que je ne m'appuie sur les travaux d'aucun autre chercheur concernant la définition ou les attributs du jottali. Non pas que je me refuse à avoir des devanciers ou que je sois fâché avec mes précurseurs mais tout simplement parce que ce sujet comme beaucoup d'autres qui participent de l'oralité africaine attendent encore une analyse en profondeur.
La linguistique à qui revient cette tâche a sans doute une grande part de responsabilité dans ce retard puisque pendant longtemps elle a relégué le corpus oral au second rang de ses priorités au bénéfice de l'écrit. De ce fait les linguistes ont été eux-mêmes victimes des représentations qui stigmatisent le genre oral.
La linguistique dans le domaine africain directement confrontée à l'héritage de l'oralité africaine aurait due s'occuper de ce dysfonctionnement mais elle a été longtemps préoccupée par les problèmes de description des langues locales et de politique linguistique qui se sont posés avec acuité aux lendemains des indépendances des pays africains.
Il faut également le dire elle a été souvent, comme les autres disciplines des sciences sociales, suiviste et dépendante sur les plans théorique et méthodologique de la linguistique dans le contexte occidental dont les préoccupations étaient quelquefois autres (Houtondji :1993).

Je m'attacherai d'abord à définir l'exercice du jottali qui est un genre discursif de l'oralité traditionnelle que l'on retrouve dans de nombreux pays de l'Afrique au sud du Sahara (Sénégal, Mali, Guinée, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Bénin etc.).

Ensuite j'évoquerai les bouleversements actuels et à venir, qui le contaminent à partir de l'avènement de la modernité communicationnelle en Afrique dont la démocratisation des médias, la mondialisation de l'information et de ses modes de traitement, l'introduction des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication etc. sont des niveaux essentiels.

Ces visées définitoires, analytiques et prospectives qui gouvernent cette communication prendront appui sur le champ religieux islamique sénégalais, qui est le terrain d'étude de la réflexion globale dont je faisais état ci-dessus, d'autant plus que le jottali y a souvent servi, et y sert encore de mode de transmission des discours sacrés.

   
   

 

1 Qu'est ce que le jottali '

Le jottali est un exercice de communication orale dont le contrat consiste pour le jottalikat (le locuteur praticien du jottali) à transmettre les propos d'un tiers (l'énonciateur) à ses destinataires.

Notons à l'attention des non wolophones que la désinence dérivationnelle " kat " qui termine le lexème jottalikat est très courante en wolof. Elle désigne celui qui agit, l'agent, l'acteur. Voici quelques exemples qui proviennent du champ sémantique du dire comme dans way : chant et waykat : chanteur ; talif : poème et talifkat : poète ; yenee : souhaiter, annoncer et yenekat : annonceur etc. Ces quelques illustrations nous permettent de souligner que ces catégories qui appartiennent au champ de la parole correspondent à des fonctions voire des professions souvent remplies par des griots. En effet, dans les sociétés traditionnelles waykat, yenekat, talifkat comme la plupart des fonctions liées au champ du discours émanaient souvent de cette catégorie sociale.

Pour revenir à la définition du jottali, il me faut souligner que l'instance de production et de réception est généralement plurielle. Elle est précisément tripolaire. C'est un truisme que de le dire, le jottali exclut la singularité et la dualité. Il ne peut y avoir de jottali si les sujets ne sont que deux et l'exercice sera d'autant plus inconcevable avec un seul locuteur. Car cela va de soi que je ne puisse " m'auto-transmettre " mon propre discours et l'on aurait du mal à comprendre que deux sujets qui parlent la même langue et ne souffrent d'aucun déficit auditif fassent appel à un troisième individu chargé de transmettre les propos du locuteur à l'allocutaire et vice versa. On parlerait sans doute d'ironie ou de pathologie si ce schéma canonique tripolaire qui gouverne le jottali devait être transgressé par un seul individu ou deux locuteurs. Et l'on parlerait sans doute d'ironie ou de pathologie si ce schéma canonique tripolaire qui gouverne le jottali devait être transgressé par un seul individu ou les deux locuteurs.
Le jottali s'effectue plutôt en présence d'une assemblée composée des trois pôles de l'interaction que nous avons déjà cités à savoir l'énonciateur (celui qui assume les propos), le jottalikat (celui qui les transmet) et des destinataires (ceux qui les reçoivent, l'instance de réception qui est généralement hétéroclite).
J'ai choisi de mettre en relief le terme " assumer " car il est d'une certaine importance. En effet la question de l' " endossement" des propos émis dans le cadre du jottali est litigieuse. Prenons un exemple pour le montrer. Dans le cas d'une diffamation ou de tout autre propos répréhensible par la loi ou les coutumes qui poursuivre ou dénoncer ' L'énonciateur qui en est à la base ou le jottalikat qui a vehiculé les propos blâmables '
Le droit moderne répondra sans doute les deux : (l'énonciateur et le jottalikat) si le second n'a pas pris la précaution de se dissocier des propos du premier par quelques effets de distanciation bien connus des linguistes (procédé qui marque la citation et le discours rapporté, le conditionnel etc.). Pourtant une maxime populaire wolof souvent citée ki wax waxul ki jottali mo wax (ce n'est pas celui qui parle qui doit assumer les propos mais celui qui les a transmis), s'il est pris dans sons sens littéral, rend plus complexe cette question à laquelle il n'est pas facile d'apporter une réponse tranchée.

Une autre caractéristique majeure du jottali réside dans le fait qu'il s'accomplit généralement dans une situation formelle voire conventionnelle ou officielle. En effet, il intervient généralement dans le cadre de situations sociales, culturelles et cultuelles déterminées (mariage, cérémonie religieuse, assemblée, etc.)
Il n'y aura pas de jottali lors d'une conversation au sein d'un groupe d'amis, d'échanges entre parents et enfants, mari et épouse etc. à moins que n'intervienne un fait qui fixe leur relation, pendant un temps, dans l'univers d'une manifestation sociale.

   
   

 

2 Les fonctions du jottali

Pourquoi le jottali ' Pourquoi un individu (A) éprouve-t-il le besoin de passer par un autre (B) pour parler à des individus (C) qui pourtant, comme c'est souvent le cas, comprennent la langue dont il se sert et partagent le contexte de l'énonciation'
La question est d'autant plus pertinente que le rôle du jottalikat diffère de celui du porte-parole (même si les deux fonctions peuvent se cumuler). Car on peut remplir la fonction de porte-parole en l'absence de l'énonciateur alors que dans le cas du jottali la présence physique de ce dernier hic et nunc c'est-à-dire son inscription dans la situation et l'instant de l'énonciation sont des conditions sine qua non de sa réalisation. Idem pour la mission du Yenekat, le crieur public, car ce dernier devait simplement transmettre, de porte à porte, de quartier en quartier, de village en village, la nouvelle (xibaar) : évènements, avis de recherche, convocation, etc., à l'aide d'un tambour ou d'une cloche (jololi) (1). Contrairement à ce qui se passe pour le jottali l'annonceur pouvait donc être absent car sa présence est de l'ordre du contingent au sens philosophique du terme (ce qui peut ne pas être).

La fonction du jottali est double. Le jottalikat devait remplir de manière concomitante les rôles d'amplificateur et de médiateur.

2. 1 La fonction d'amplification

L'amplification est la fonction la plus apparente et la plus connue. Elle se retrouve dans l'étymologie du lexème jottali et sa racine jott (ce qui sied à). Lamine kebba Sekk dans son dictionnaire wolof Sekk bu ndaw glose le sens du terme jottali en ces mots : " jox dara kuko jotul " que je traduirai par " faire parvenir ce qui ne pouvait arriver à destination " (Sekk : 1999, PAPF). Michel Malherbe et Cheikh Sall, auteurs de Parlons wolof, moins laconiques sur l'aspect communicationnel, choisissent la définition suivante : " faire passer quelque chose, amplifier ce que dit quelqu'un en répétant haut ses paroles "(Malherbe et Sall : 1989, L'Harmattan).
On voit que ces deux définitions mettent en exergue la fonction d'amplification du jottali qui consiste selon ces auteurs à porter haut les paroles de quelqu'un dans le but de les faire entendre à un public qui n'aurait pu y accéder autrement.

Mais pour quelle raison le message de A ne pourrait-il parvenir à C sans passer par B alors qu'une fois de plus ils partagent le même idiome et le même cadre physique' Cela ne vous a pas échappé, nos auteurs n'ont malheureusement apporté aucune précision sur les raisons susceptibles de rendre " inaudibles " les propos de A. Or, c'est ce qui justifie l'exigence d'amplification. Ce qui nous amène à reformuler la définition de cette fonction comme suit : " dans le cadre de la fonction d'amplification le jottalikat devait tel un haut-parleur procéder à une répétition et une amplification du discours de l'énonciateur présumé inaudible ou inintelligible pour des raisons matérielles ou linguistiques tel que le nombre (assemblée trop nombreuse), la distance (trop grand écart entre l'instance de production et de réception), la pollution sonore (bruits gênants pour l'écoute), les soucis physiques de l'énonciateur comme dans le cas des problèmes de santé (rhume, problème de voix) etc.

Mais les raisons physiques et matérielles n'expliquent pas à elles seules la fonction d'amplification. Des motivations ethnosocioculturelles et spirituelles interviennent également.
Dans le domaine spirituel, si l'on considère le champ religieux islamique où il se déploie de manière fréquente, les Chouyoukh (pluriel de Cheikh) qui s'en servent souvent et qui sont en même temps les garants de l'orthodoxie et de l'orthopraxie ne peuvent pas ignorer le Coran qui dit : " modère ta voix : la voix la plus désagréable est la voix de l'âne " (XXXI : 19).
Dans le cadre socioculturel, je ferai référence à deux expressions idiomatiques bien connues du wolof. La première dicte : " kilifa du wax batam di jibb ", un " Kilifa ne doit pas élever la voix ". Le mot kilifa est un emprunt du wolof à l'arabe muskalaf, et non khalifat comme serait tenté de le croire un non wolophone. Le muskalaf désigne la personne majeure, saine d'esprit, responsable. C'est ce sème de la responsabilité qui est d'avantage actualisé dans la langue de Kocc Barma par restriction de sens. La seconde maxime énonce " bu ñgax don joxe cër kon mbam du sëf " c'est-à-dire " si braire conférait du pouvoir l'âne ne porterait plus ". Cette sentence est une autre invitation à la maîtrise prosodique voire au silence. C'est en tout cas cette seconde lecture (le silence) qui est privilégiée par l'ancien Premier Ministre Idrissa Seck. Ce dernier en aurait fait son antienne favorite à sa sortie de prison pour justifier ses longs moments de silence que la presse qualifie " d'assourdissants ".

Notons au passage que les illustrations que j'ai choisies, si elles participent de deux plans différents, celui de la religion et de la tradition, se retrouvent dans une même analogie péjorative qui assimile le parler fort au braiment de l'âne. Comparaison évidemment peu flatteuse pour qui connaît la réputation, au sein de nos sociétés, de l'équidé aux longues oreilles.
On voit donc qu'il y a des normes ethnoculturelles et spirituelles, de l'ordre de la prescription et de la proscription, connus de tous, et militant en faveur d'une certaine modération articulatoire qui est interprétée comme signe de pondération et de contrôle de soi.
Il est également intéressant de relever que les exemples puisés dans la tradition et la religion se rejoignent dans le fait de poser une équivalence entre maîtrise du verbe et maîtrise de l'être.

Toutes ces recommandations sont de nature à inciter certaines autorités coutumières et religieuses à se servir d'un jottalikat comme d'un haut-parleur chargé de reprendre et d'amplifier ce qu'ils disent.


Nous tenons là une des raisons pour lesquelles le griot est souvent le jottalikat attitré du Cheikh, du chef coutumier et de toute personne qui s'attache ses services. Cela s'explique par le fait que sa catégorie sociale, celle des guewël (griot en wolof) maîtres dans l'art de parler, maîtres du guew (cercle en wolof, par extension lieu où se déroule une cérémonie) est exemptée des normes socioculturelles qui proscrivent le parler fort (2).

2. 2 La fonction de médiation

La fonction de médiation est la moins perceptible. D'ailleurs elle est totalement absente des définitions de Sekk et de Malherbe et Sall dont nous avons fait cas au préalable. Il faut dire qu'elle émane de l'élaboration d'une hypothèse personnelle. Et il n'est pas besoin d'insister ici sur le fait qu'on peut y souscrire comme il est loisible à chacun, argument à l'appui, de la réfuter.

D'après moi la fonction de médiation doit son existence aux difficultés inhérentes à la pratique du genre oral. En effet celui-ci requiert de mobiliser en même temps, du fait de son immédiateté, de lourdes et multiples compétences :

- psychologiques (il s'agit d'une maîtrise des émotions notamment du trac dont les effets gênants peuvent l'emporter sur toutes les performances de l'orateur),
- cognitives et mémorielles (par exemple ne pas avoir des trous de mémoire),
- articulatoires (éviter les erreurs de prononciation qui gêneraient la compréhension),
- sémantiques (par exemple ne pas se tromper de mot ou de signification en utilisant les termes adéquats),
- syntaxiques (éviter les solécismes que les conceptions normatives stigmatisent comme " fautes ") etc.

Dans le genre oral, les ratés se donnent à " entendre " aussitôt. Pour utiliser une expression courante, nous dirons que les erreurs se payent cash. Chaque dysfonctionnement peut gêner la compréhension du propos mais il peut surtout conduire à une appréciation négative du discours par un auditoire normatif ou qui recèle un certain fétichisme de la langue. Le jottali sert donc dans le cadre de ce genre discursif à masquer, gommer, rectifier, embellir, policer, clarifier, interpréter, traduire etc. le discours de l'énonciateur.
Le jottalikat joue donc le rôle de médiateur entre le discours de l'énonciateur et une réception efficace des destinataires.
Cela se conçoit plus aisément dans le champ du discours religieux islamique sénégalais qui me sert d'exemple. Car si tout discours tend à une certaine efficience dans le domaine où il se déploie, le discours religieux est étroitement lié aux principes d'efficacité et de crédibilité pour des raisons qui se devinent aisément. C'est ce qui explique sans doute la présence récurrente du jottali lors des cérémonies religieuses. Et c'est la seconde motivation qui montre pourquoi le jottalikat est souvent un disciple choisi chez les professionnels de la communication orale que sont les griots. Car pour réussir cet équilibre délicat qui consiste à reproduire en live un discours tout en le rendant au moins tout aussi pertinent et plaisant, sans toutefois en dénaturer le sens, le jottalikat devait mettre à la disposition de son Cheikh ses compétences en matière de communication, de stylistique, de rhétorique, de linguistique etc. (par exemple, maîtrise de plusieurs idiomes : le wolof, l'arabe, voire le français ; capacité à retenir l'attention de l'auditoire et à rendre agréable les propos reçus etc.).

Reproduction orale d'un discours oral, le jottali ne pouvait que doublement se soumettre à la logique tragique de tout discours oral : " les erreurs se payent cash ". Un mauvais jottali survient lorsque le locuteur-jottalikat brise la relation de médiation en faisant ombre, et non écran, à l'énonciateur. Le discours rapporté prend alors le pas sur le discours et le rapporteur sur le rapport.
Il y a également échec lorsque les ratés et les dysfonctionnements font légion lors de la reproduction et décrédibilisent le premier discours.
Dans le cas contraire, c'est à dire lorsque le jottali est réussi, le Cheikh préserve, par le biais du jottalikat, un écran dans sa relation au talibé qui est nécessaire à la sauvegarde de son charisme qu'aurait pu annihiler les ratés, lapsus, hésitations, phrases inachevées, bégaiements, écarts sémantiques ou de syntaxes fréquents lors des communications orales en direct.

Ainsi le jottali exécuté avec succès est à percevoir comme une astuce qui permet de légèrement différer une communication que le cadre contextuel (contemporanéité et coprésence des protagonistes) présente comme directe afin d'en gommer les erreurs.

Le Cheikh sera également parvenu, dans le cas d'un jottali opéré avec succès, à ne pas trahir les principes ethnosocioculturels et religieux relatifs à son rang qui lui suggérait de ne point brailler.

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3 Mutations du jottali

La modernité communicationnelle marquée par la libéralisation massive des médias, survenue à la fin des années 80 pour le Sénégal, l'apparition des nouvelles technologies, la globalisation du traitement et de la diffusion de l'information etc. apportent une dimension inédite. Les micros sont partout. On a assez disserté sur la tendance à " l'ubiquité " des médias : " être partout ", " tout le temps " pour nous pas en faire d'avantage cas ici.

Pour revenir au champ religieux islamique sénégalais, qui me sert de mesure, les changements ne manquent guère. Les technologies nouvelles et les médias sont massivement présents lors des cérémonies religieuses où intervient le jottali. Et de plus en plus les manifestations religieuses les plus importantes sont diffusées sur l'Internet (Magal, Gamou, Ziyars, appels etc.) (3) .

Quelles sont les conséquences ' La parole du marabout est " micro amplifiée ", non pas par le jottalikat, mais par les radios, la télévision, l'Internet etc. Ainsi elle parvient aux talibés dans son immédiateté (4) . Le jottalikat est court-circuité. La fonction d'amplification ne se justifie plus. L'inconvénient réside dans l'émergence d'un double emploi et une redondance qui tire le discours en longueur et hypothèque l'exigence de captation nécessaire au principe d'efficacité.

Pour parer à cela, les stratégies sont nombreuses. Certains jottalikat multiplient la visée séductrice en renforçant l'humour, l'intensité vocale etc. (5) . On peut parler dans ces cas d'un hyper jottali qui poussé à sa limite peut briser le principe de sérieux qu'exige le discours religieux.

D'un autre côté il devient impossible de maintenir l'illusion du différé qui est un des fondements de la fonction de médiation. La conséquence majeure est que l'écran que devait maintenir le jottalikat entre le Cheikh et son public perd de son opacité. Le discours de ce dernier devient donc transparent et ses ratés accessibles.

   
   

4 La rupture

Certains marabouts, sans doute pour contourner ces écueils, choisissent de briser la relation triangulaire au bénéfice d'une communication directe(6). S'ils en tirent le bénéfice de la proximité et de l'empathie ils prennent un risque en s'exposant à une éventuelle décharismatisation et désacralisation car, dans ces cas, le cheikh met ses compétences discursives en face de l'attention évaluative de son talibé. Et ces jugements pourront s'avérer positifs ou négatifs selon la performance de l'énonciateur. Cette " démocratie discursive " brise donc le piédestal du Cheikh et le met dans une situation où sa capacité à tenir un propos limpide, compréhensible, cohérent etc. se soumet à la sanction comme pour tout locuteur.
Dans un espace ou savoir, savoir-faire discursifs, et pouvoir sont intimement imbriqués, on peut parier que les fortunes seront diverses si le rejet du jottali se généralise. Une pareille donne pourrait avoir dans le long terme des conséquences jusqu'ici insoupçonnées au niveau du champ religieux.
La première pourrait être l'intervention massive de conseillers en communication dans cet univers (7).

La seconde incidence pourrait se manifester par une meilleure audience des prédicateurs qui ont toujours ignorés le jottali et sont donc rompus aux techniques de la communication orale directe. On reconnaîtra prioritairement dans ce cadre les adeptes des mouvements fondamentalistes : Ibadou, Al-Falah etc. qui ont jusqu'ici du mal à attirer les foules à la manière des chefs confrériques dont chaque discours est religieusement suivi et écouté par des milliers de disciples.
Le rejet du jottali par ces groupes n'est pas neutre. Il s'explique par le fait que cet exercice consacre une axiologie différente de leurs croyances. En effet le jottali participe la plupart du temps d'une relation communicative fortement hiérarchisée.
Le champ sémantique du jang (cérémonie religieuse nocturne ; littéralement apprentissage) où il se déploie de manière fréquente corrobore cela. L'on y retrouve les notions de jangkat (le diseur de jang ; celui qui dispense l'apprentissage), de Cheikh (maître, guide), talibé (disciple), waar (leçon) ... Toutes ces notions témoignent de la relation asymétrique entre le marabout et son talibé. Le jang est le lieu de la leçon cultuelle, spirituelle, morale, etc. qu'administre le maître au disciple. Généralement la dimension interactive du jang est circonscrite ; les talibés viennent écouter avec dévotion, partager un moment de communion et recueillir des prières sans avoir l'occasion d'échanger avec le cheikh ou le jangkat. Ce qui n'est pas le cas dans les conférences des groupes fondamentalistes qui, généralement, laissent la place à un débat entre le public et les orateurs.

D'ailleurs les dispositions scéniques très stéréotypées des cadres contextuels du jang confirment cette relation basée sur la soumission et l'obéissance :

En hauteur (marabouts et autorités)/ En bas voire à même le sol (disciples et public).
Et/ou en face (marabouts et autorités)/ à face (disciples et public).

Il est à signaler que la discrimination proxémique ne limite pas à ce schème (marabout/disciple) mais se perpétue d'après d'autres critères observables comme la position sociale, l'âge, le genre etc. Par exemple, de manière générale, on ne trouvera pas de femmes du côté des personnalités (marabouts, autorités). Elles seront derrières les hommes du côté des (disciples, public) ou mises à côté de ces derniers (exemple les femmes à droite et les hommes à gauche).

Or, comme nous l'avons souligné, les groupes fondamentalistes qui sont très critiques sur la soumission qui est à la base de la relation marabout /disciple préfèrent des modes de communication bannissant le jottali qui consacre, comme nous l'avons montré, une distance verticale entre les instances productrice et réceptrice.

Cette dimension inégalitaire du jottali est également présente dans les communications traditionnelles areligieuses où il apparaît (assemblée, rencontre avec une autorité etc.).

Comme l'on pouvait s'y attendre certains locuteurs et groupes autres que les fondamentalistes partagent cette perception négative du jottali qui naît de la relation asymétrique qu'il instaure.
L'on remarquera que si les hommes politiques s'en accommodent le temps des cérémonies religieuses ils ne tentent jamais de le reproduire en dehors de ces cercles. Cela se comprend aisément puisque le jottali rompt le principe de l'isègoria, au coeur de la démocratie athénienne dont ils seinspirent, et qui exige leégalité de la prise de parole pour tous les citoyens. Transgresser cette règle ceest risquer la sanction des électeurs qui pourraient y voir la manifestation d'une arrogance ou d'une fanfaronnade.
A la question pourquoi ces mêmes électeurs l'acceptent-ils lorsqu'il s'agit des marabouts ' Une réponse vient automatiquement à l'esprit. Les légitimités qui interviennent dans les fonctions politiques et maraboutiques ne sont pas similaires. Et comme le notait Christian Coulon : " au Sénégal on est souvent disciple d'un marabout avant d'être citoyen d'un Etat " (1983 : Karthala) ce qui conduit à passer aux marabouts ce que l'on refuse aux hommes politiques. Et dans ce domaine comme dans bien d'autres ces derniers semblent s'être fait une raison.

Au-delà du personnel politique, c'est l'essentiel des intellectuels qui rejette généralement le jottali. Cela s'explique en bonne partie par la réfutation de sa dimension inégalitaire. Amadou Tidiane Wone dans son roman Lorsque la nuit se déchire (1990 : L'Harmattan) nous en donne un exemple. En effet il souscrit à la représentation péjorative de cette dimension hiérarchisante. Car cherchant à stigmatiser l'imposture de ceux qu'il nomme " les prétendus marabouts " (Ibid : p.14) et à dénoncer le rapport d'assujettissement qui lie le talibé à son Cheikh, qu'il dit " tel le chien le plus fidèle " (Ibid : p.53), l'écrivain se sert des figures du bëkk nekk (secrétaire particulier) et du jottalikat en ces termes : " l'homme [le marabout] était de taille moyenne. Drapé dans un grand boubou majestueux, il avait la démarche assurée de ceux qui savent. Il était accompagné de deux adolescents dont l'un faisait office de secrétaire particulier et l'autre d'homme à tout faire. Le secrétaire particulier remplissait aussi les fonctions d'amplificateur des saints murmures de son maître. Eh oui ! Car ses gens là [les marabouts] n'élèvent jamais la voix " (9) (Ibid : p. 31).

Ne nous reste-t-il plus alors qu'à mesurer le blues du jottalikat déchu à la manière de Amadou Tidiane Wone ' En effet l'écrivain narre la détresse d'un jottalikat démis ainsi : " l'homme [le marabout] s'éclaircit la gorge une fois puis se tut. Deux fois, puis se pencha vers son secrétaire particulier " laisse nous seuls ", lui dit-il. Celui-ci faillit tomber à la renverse. Les yeux écarquillés, les glandes sudoripares fonctionnant à plein régime, il ne comprenait pas du tout ce qui devait lui arriver : il avait toujours assisté à tous les entretiens du maître. C'était à lui d'amplifier ses augustes murmures pour les rendre accessibles aux oreilles profanes (...) Après avoir refermé la porte derrière lui, il s'affaissa sur la première chaise pour essayer de comprendre ce qui, pour lui, prenait les allures d'un tremblement de terre " (Op. cité p.37, 1990 : L'Harmattan).

Le rejet du jottali, s'il venait à se généraliser, pourrait aboutir à la disparition d'un patrimoine de la communication orale traditionnelle renforçant ainsi l'idée d'une homogénéisation des comportements culturels et communicationnels à l'ère de la globalisation. Malgré les indications que j'ai fournies, il m'est difficile d'annoncer par avance toutes les conséquences. Je pense notamment au plan ethnoculturel en disant cela. Toutefois, nonobstant les mutations dont j'ai fait part au préalable, il est possible de préfigurer comme relatives les pertes que pourraient subir les confréries islamiques sénégalaises du fait de cette éventuelle, mais pour l'heure improbable, disparition du jottali. Car ces entités religieuses en se servant des dispositifs de la communication traditionnelle africaine depuis près d'un millénaire puis des artéfacts de la communication moderne au 20ème siècle (télévision, radio, cassettes audio et vidéo etc.) et en tirant, à présent, un profit non négligeable des NTIC (l'Internet, DVD, matériel numérique etc.) ont démontré leurs étonnantes capacités de réaction face à la modernité. Mais surtout qu'elles ne sont pas fidèles à un genre communicatif mais à l'efficacité communicationnelle faisant ainsi preuve d'un pragmatisme et d'un opportunisme qui n'a pas manqué de surprendre bon nombre d'observateurs.

   
   

 

Conclusion

Cette confrontation entre tradition et modernité communicationnelle nous a permis de mettre à nu la structure qui gouverne l'exercice du jottali et qui nécessite, comme nous l'avons démontré, une instance énonciative tripolaire, un prétexte formel, une exigence d'amplification et/ou de médiation etc. Elle nous a également servi d'appui pour évoquer le fait que la modernité communicationnelle marquée par la libéralisation massive des médias, l'apparition des NTIC, la globalisation du traitement et de la diffusion de l'information etc. n'est pas sans incidences sur les genres discursifs et les modes de communication héritées de la tradition orale. Il nous a été possible dans le cas que nous avons étudié de mesurer quelques uns des multiples bouleversements qui en découlent. Il apparaît clairement que cette révolution de la communication n'est pas vécue de manière passive et homogène par les locuteurs et les groupes dont ils se réclament. Ainsi nous avons pu noter, pour ce qui est du jottali, un certain nombre de réaction d'adaptation, d'appropriation et de réappropriation différentes selon l'axiologie des groupes religieux que nous avons évoquée. Un travail similaire ayant exclusivement pour terrain le champ ethnosocioculturel pourrait déboucher à terme sur des approches et des conclusions complémentaires et intéressantes.

   
   

 

Notes

(1) Les cinéphiles peuvent trouver une séquence qui met en scène un Yenekat dans le drame de Djibril Diop Mambety intitulé Hyènes Ramatou. On y voit un yenekat annonçant aux habitants de Colobane, tambour battant, le retour de Linguère Ramatou, héroïne du film, revenue milliardaire dans sa ville natale après trente années d'absence. In Hyènes Ramatou de Djibril Diop Mambety, d'après la pièce de Friedrich Dürrenmatt " Der Besuch der alten Dame " La visite de la vieille dame, 1993.

(2) Je dois la remarque de cette parenté homophonique et sémantique entre les lexies gew et gewël au linguiste, économiste et historien Pathé Diagne qui a attiré mon attention sur ce fait au cours d'un entretien qu'il m'avait accordé lors d'un séjour de recherche effectué au Sénégal en 2005.

(3) En 2006 le Gamou de Tivaouane, le Magal de Touba, le Ziyar des layènes, l'université du ramadan des moustarchidines etc. ont bénéficié de ce type de couverture.


(4) On objectera à juste titre que tel était le cas dès l'apparition des microphones, des enceintes acoustiques, des amplificateurs et des hauts parleurs dans l'espace des cérémonies religieuses islamiques du Sénégal à partir de la moitié du vingtième siècle. Certes, mais cette donne fait figure de préhistoire du matériel sonore au vu de la sophistication et des extraordinaires possibilités qui apparaissent avec l'émergence de la modernité communicationnelle. Les impacts sont par conséquent différents et s'accentuent avec l'introduction des NTIC et la démocratisation des médias.


(5) Le célèbre griot et animateur Abdoulaye Mbaye Peex qui se livre souvent à l'exercice du jottali pour le compte des marabouts et notables mourides, le nommé Daw Goor qui est le jottalikat attitré du marabout tijane Serigne Mbaye Sy ou encore le jottalikat du défunt marabout tijaan El Haj Abdou Aziz Sy en sont des exemples. Ce dernier en disait beaucoup plus que le marabout n'en avait dit, ce qui suscitait parfois l'étonnement du public. Mbaye Peex est connu pour l'intensité extraordinaire avec laquelle il se livre à cet exercice tandis que Daw Goor excelle dans le domaine des petites notes d'humour qui amusent le public. Pourtant il sert un marabout réputé pour son orthodoxie et sa " sévérité ". En effet Serigne Mbaye Sy, à chaque fois que l'occasion se présente, critique rudement ses coreligionnaires et n'épargnent point les gouvernants, les chefs d'Etats y compris.

(6) Il faut dire que certains religieux et chefs coutumiers ont de tout temps refusé d'avoir des jottalikat sans doute pour être plus proches de leurs publics.


(7) L'exemple de Serigne Modou Kara Mbacké entouré de son épouse Soxna Dieng Mbacké, ancienne directrice de la télévision nationale, de Rudy Keïta journaliste et d' Abbas Ba ancien ministre, communicateur expérimenté et talentueux s'il en est, semble illustratif.

(8) C'est moi qui souligne.

   
   

 

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

Calvet L.J., 1996, La Sociolinguistique, Paris : PUF Q.S.J. 128 pages.

Calvet L.J. et Pierre Dumont direction (dir.), 1999, L'enquête sociolinguistique. Paris : Harmattan. 191 pages.

Coulon C., 1981, Le marabout et le prince. Islam et pouvoir au Sénégal, Paris : Pedone.
Coulon C., 1983, Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire. Paris : Karthala. 177 pages.
Dieng Samba (dir.) 1996, La civilisation islamique en Afrique de l'Ouest Actes du Symposium de l'IRCICA-IFAN, Dakar décembre 1996.
Diagne Souleymane Bachir, 2001, Cent mots pour dire l'islam. Paris : Maisonneuve & Larose, 87 pages.
Diouf Mamadou, 2001 Histoire du Sénégal, Paris Maisonneuve & Larose.
Diop Momar Coumba (dir.), 2002 Le Sénégal à l'heure de l'information, technologies et société, Paris : Karthala.
Dreyfus C. et Juillard C., 2004 Le plurilinguisme au Sénégal, langues et identités en devenir, Paris : Karthala, 358 pages.
Hountondji P., 1993 " Situation de l'anthropologue africain : note critique sur une forme d'extraversion scientifique " in Gosselin G. (dir.) Les nouveaux enjeux de l'anthropologie autour de Georges Balandier, Paris : L'Harmattan.
Malherbe M. et Cheikh S., Parlons wolof. Langue et culture. Paris : L'Harmattan. 181 pages.
Sekk Lamin Kebaa 1999, Sekk bu Ndaw, Dictionnaire en wolof. Dakar : PAPF/ CAPEF. 229 pages.
Wone Amadou Tidiane 2001, Lorsque la nuit se déchire. Roman. Paris : L'Harmattan. Coll. Encres noires.

   
   

 

 DEBAT
   
   

 

Extraits du Débat portant sur le jottali

Dominique Temple
Je suis frappé de tes paroles lorsque tu dis que les romanciers sont contre le jottali que les hommes politiques sont contre le jottali que d'une façon générale les intellectuels sont contre le jottali. En même temps tu dis que cette technique appartient à un autre domaine que celui des politiciens ou celui des romanciers, elle appartient au champ religieux, peut être pas en restreignant le religieux à la vie religieuse mais à la parole religieuse telle que l'on peut l'extraire des traditions religieuses car tu parles de communion. Par exemple tu dis que le jottali s'adresse à une communauté de talibés qui sont sous l'autorité d'un marabout. Or, cette hiérarchie est typique d'une inégalité qui n'est peut-être pas de pouvoir mais de l'ordre de la qualité : il y a quelqu'un qui parle pour tous. S'il y en a un qui parle pour tous on peut le dire supérieur en un certain sens, mais lui ne se considère pas pour autant comme supérieur aux autres, au contraire il va se considérer comme serviteur des autres, presque comme dans une hiérarchie inversée. Bien sûr que les autres l'assurent de leur confiance mais parce qu'il est le porte parole de tous, ce qui lui donne une responsabilité supérieure et une très grande dignité mais parce que qu'elle est la dignité de tous. Cette hiérarchie et ces valeurs de soumission - que l'on appelle soumission, mais personnellement je ne les appellerai pas soumission, - qui relèvent de la confiance et de la fidéalité, ce sont
des valeurs particulières qui obéissent à des structures de réciprocité particulières.

Mouhamed
Je ne me positionne pas véritablement sur ce sujet, mais ce qui me paraît évident c'est que le disciple ne vit pas cette hiérarchie comme une hiérarchie écrasante. Il la vit comme effectivement une délégation de pouvoir à une personne qui parle pour tous, un sage qui est tellement sage qu'il doit modérer sa voix, pondérer, contrôler. Cette hiérarchie de subordination, c'est une question de regard.

Dominique
Mais par ce que l'extérieur obéit à une autre structure qui est une structure politique cette fois dans laquelle ce qui compte ce n'est plus la
parole d'union mais la parole d'opposition. Je suis différent de toi parce que je te parle et dans le "je te parle" il y a une opposition de moi à toi, du je au tu. Réversible car quand tu parles, l'opposition est renversée. Nous avons en réalité un face à face où les gens sont égaux. Mais quand on est dans la parole d'union où c'est le Il qui parle, le Il parle pour tous, c'est Lui à ce moment là qui paraît totalement inégal à qui utilise la parole d'opposition. Mais pourquoi ? Parce que l'opposition exclut l'union et l'union exclut l'opposition. Donc il est obligatoire que ceux qui se réfèrent à cette parole d'opposition excluent cette parole d'union et tu dis que quand l'homme politique va dans le champ religieux il respecte l'autorité de celui qui parle au nom de tous (le marabout par exemple et de la même façon le jottalikat) mais que jamais il ne pourrait introduire un intermédiaire comme le jottalikat dans le champ politique où il est comptable de la parole d'opposition.

Mouhamed
Je pense que l'on se rejoint dans le fait que c'est le regard qui fait de la hiérarchie une hiérarchie écrasante : c'est le regard qui l'explique. Par exemple un auteur (...) - un sociologue qui a travaillé sur la société woloff, en particulier sur le phénomène des castes et également sur la question des griots, - consacre un chapitre à la relation qui est de l'ordre de la religion. Il ne voit - et il n'est pas le seul dans ce schéma-là - dans la relation du marabout et du disciple qu'une domination. Les arguments des fondamentalistes ne sont pas très éloignés, les intellectuels également. Donc c'est le regard. On est d'accord sur ce fait.

Dominique
J'irai même jusqu'à proposer une hypothèse d'ordre logique pour cette affaire. Je me demande si quand le jottalikat nous apparaît comme simplement un transmetteur de la parole il n'est pas là en réalité pour exclure la relation d'opposition, pour exclure systématiquement l'apparition d'une structure binaire. Son rôle devient un peu un fait de structure sans qu'il y ait nécessairement de contenu ou de sens surajouté à sa médiation qui serait simplement de garantir que ce qui se dit se dise au nom de la parole religieuse au lieu de se dire au nom de la parole politique. Ainsi ce n'est pas demain la veille qu'un tel fait de structure disparaîtra même s'il prenait d'autres façons de se réaliser à moins que la parole religieuse ne disparaisse.
Dans la parole religieuse chrétienne si l'Eglise n'a pas besoin de recourir au jottalikat, c'est peut être parce qu'il existe déjà institutionnalisé dans la hiérarchie : le prêtre n'est pas l'évêque. Il est le jottalikat de l'évêque et la hiérarchie est peut être destinée à rappeler que la parole d'union a pour enjeu de faire prévaloir la communion qui exclut l'opposition. Ce pourrait être un tel fait de structure qui justifierait l'idée que non seulement le jottalikat ne disparaîtra pas mais qu'il ne peut pas disparaître à moins que la parole d'union ne disparaisse.

Mireille
Est-ce que dans la pratique du jottali on ne trouve pas de formules qui témoignent de cette parole d'union. Par exemple "
Il dit ".

Mouhamed
Tout-à-fait
Illustration par un enregistrement qui répond à la question
Des fois :"Il dit", des fois "le Marabout a dit", des fois "Il a dit".

Mireille
Il est donc là pour donner une présence à ce "Il". Le "Il" est à la fois le Marabout qui a la parole, mais en le redoublant il le met en scène, il institue le marabout comme "Il".

Mouhamed
Je pense que c'est en efret nécessaire à l'élaboration du discours.

Dominique
Cela peut même dépasser le marabout parce que c'est presque du "Il est dit que". Le "Il dit" se construit à partir du "Il est dit". Le marabout lui-même ne devient qu'un transmetteur. C'est un "Il" qui s'évanouit dans le divin.

Mouhamed
Souvent on reste au niveau du "Il dit", "Il a dit , "le marabout a dit","le chef a dit". D'ailleurs il m'a été donné de voir que l'usage annexe d'autres champs. Par exemple dans les quartiers de Dakar ou règne pourtant l'influence de la modernité, j'ai pu voir des cérémonies de type baptême ou mariage où certaines traditions sont respectées, par exemple des dons qui ont lieu à certains moments de la journée où des personnes particulières sont honorées, et j'ai pu voir que des femmes lorsqu'elles se réunissaient et même lorsqu'elles se réunissaient seulement entre elles, utilisaient le jottali. Il y a des femmes qui se transmettent leur parole par une jottalikat avec souvent un caractère très humoristique et j'ai vu que celle-ci se permettait une grande liberté vis-à-vis des protagonistes. On trouve le jottalikat pas seulement dans le champ religieux. Le jottalikat peut investir d'autres champs de la communauté.

Dominique
Un champ festif  ?

Mouhamed
Oui ! c'est cela un champ festif...

Dominique
..donc de communion ?

Mouhamed
Oui ! de communion.

   
   

 CONTRIBUTION

D. TEMPLE