Les trois formes de la réciprocité

Dominique Temple

8- juillet-17 Septembre 06
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 sommaire

1) le principe de réciprocité

2) La réciprocité symétrique

3) Les sources de la réciprocité symétrique

4) La réciprocité symétrique issue de la réciprocité positive

5) La réciprocité symétrique issue de la réciprocité négative

6) Les deux principes : le Bien et le Mal

7) L'interdiction du meurtre

8) Les relations des formes entre elles

Notes

   
 

 

1) Le principe de réciprocité

On dit "réciproque" toute manifestation vis à vis d'autrui confrontée à la même manifestation d'autrui de sorte que chacun puisse à la fois agir et subir la même chose.

Si nous disons avec Lupasco que toute manifestation a pour conscience élémentaire son contraire, (note 1) la conscience
pour l'un sera définie par l'agir de l'autre quand pour l'autre elle sera définie par le subir de l'autre. Prise individuellement chacune de ces deux consciences antagonistes n'étant pas conscience d'elle-même, ni l'une ni l'autre n'a de sens par elle-même. Mais dans la réciprocité, et seulement dans la réciprocité, les deux consciences antagonistes sont contradictoirement conjointes et il résulte de leur relativisation mutuelle, une conscience de conscience qui n'est que conscience d'elle-même.

Dans une structure de réciprocité "symétrique"ou "égale" ni la "conscience élémentaire" de "l'agir" ni celle du "subir" de chacun des partenaires ne s'impose, chacune étant entièrement relativisée par l'autre. La conscience de conscience qui résulte de cette confrontation est seulement conscience d'elle-même sous la forme d'un sentiment originel.

Il suffit que la réciprocité ne soit pas égale pour qu'une conscience élémentaire soit en excès sur l'autre et se constitue comme la conscience dont on est conscient. La conscience dont chaque partenaire est conscient est l'inverse de l'autre et corrélative à l'autre.

Nous insisterons ici sur la " réciprocité symétrique "

Dès lors, il faut tenir compte de l'avènement ou de la disparition du sentiment originel en lequel se concentre la conscience de conscience lorsqu'elle est privée de tout horizon objectif.

   
   

 

2) La réciprocité symétrique

Si la réciprocité positive et la réciprocité négative se définissent par une polarité grâce à laquelle les valeurs produites sont nettement caractérisées par un contenu (leur imaginaire - le prestige du donateur pour l'une, l'honneur de l'offensé pour l'autre), la réciprocité symétrique des origines est privée d'imaginaire ce pourquoi sans doute elle n'est jamaisnommée (aucune image de la réalité ne peut rendre compte des valeurs qu'elle produit): elle est pourtant la matrice du symbolique pur. Que veut dire du symbolique pur ? Les valeurs humaines, les valeurs éthiques !
Mais il n'est pas plus vrai de dire que la réciprocité symétrique produit les valeurs éthiques que de dire que ce sont les valeurs éthiques qui exigent le comportement pratique de la réciprocité car l'efficience des contraires est tout aussi vraie que l'efficience du contradictoire qui en est la médiété ou le Tiers inclus. La révélation de la conscience à elle-même devient dès lors la conséquence de cette efficience du Tiers inclus et implique la sujétion à sa Loi. La Loi libère.

Par exemple la "générosité", valeur produite par une réciprocité des dons relativisée par la nécessité d'autrui (et qui tend donc vers la réciprocité symétrique) est considérée comme l'attribut du "généreux". Source de l'action, la générosité n'implique plus nécessairement la réciprocité d'autrui, elle y invite seulement, et elle devient un principe.

La Tradition a dès lors sélectionné des modèles de comportement social qu'elle contraint à respecter souvent à l'aide d'une initiation ou d'un apprentissage qui ressemble parfois à un dressage.

   
   

 

3) Les sources de la réciprocité symétrique

La réciprocité symétrique peut être originelle mais apparaître aussi à partir de la réciprocité positive ou négative car celles-ci peuvent soit s'exacerber selon leur polarité respective soit au contraire se relativiser :

- si la réciprocité positive s'exacerbe, son imaginaire, le prestige, devient despotique comme dans les sociétés de potlatch (note 2);
- si elle se relativise, il apparaît un nouvel équilibre symétrique, entre donateurs cette fois, équilibre qui n'est plus la réciprocité symétrique d'origine, car l'imaginaire du positif (l'imaginaire du don : le prestige) demeure une médiation entre la forme d'origine (positive) et la forme d'arrivée (symétrique).

Il en est de même pour la réciprocité de vengeance, dont l'imaginaire est l'honneur. Elle peut s'exacerber et conduire à une dialectique de la vengeance ou bien se relativiser et conduire à une nouvelle forme de réciprocité symétrique (note 3).

   
   

 

4) La réciprocité symétrique issue de la réciprocité positive

Lorsque la réciprocité positive se relativise et tend vers l'équilibre, se produit un nouveau sentiment éthique. Celui-ci est appréhendé à partir de l'imaginaire de la réciprocité positive qui lui donne naissance, c'est-à-dire qu'il est l'enjeu d'une représentation objective. Le sentiment éthique est alors proposé comme un choix rationnel.

Lorsque Aristote parle du premier moment de la réciprocité positive qui met en présence un donateur et un donataire il observe que le sentiment produit est celui de la générosité. Mais déjà la libéralité du donateur est relativisée si celui qui donne, donne à bon escient. Aristote détaille le passage à la réciprocité symétrique à partir de la réciprocité positive en montrant que l'on nomme magnificence la valeur de qui donne sans compter et donc sans retour, ce qui est une relativisation de l'imaginaire de la réciprocité positive, par exemple donner gracieusement pour le bien commun de la cité. Ensuite, il donne le nom de magnanime à celui qui donne en refusant tout honneur ou titre de prestige, le donateur ayant jusqu'à l'humilité de rester anonyme, et cite le citoyen qui sacrifie sa vie pour la défense de la cité. Nous sommes ainsi conduits à une réciprocité symétrique opposée au potlatch dans lequel la gloire d'être le plus grand donateur s'inscrit dans le nom même de l'auteur du don (ou, pour le guerrier, dans sa statue sur la tombe de ses exploits). Le moment final de cette dialectique est celui où le supérieur élève l'inférieur à son niveau et rétablit l'égalité : le fruit de cette réciprocité symétrique est l'amitié ou l'amour, la philia, si l'égalité est parfaite (note 4).

Redisons que la réciprocité symétrique obtenue par le détour de la réciprocité positive se conçoit dans l'imaginaire de la réciprocité positive et que la valeur de cette réciprocité symétrique est donc le résultat d'une expérience déterminée, qui, l'imaginaire étant à son tour relativisé, produit l'appréhension de la valeur éthique de façon objective, c'est-à-dire de façon rationnelle.

   
   

 

5) La réciprocité symétrique issue de la réciprocité négative

Dans la réciprocité négative, il faut avoir subi une injure pour pouvoir se venger, quitte à la solliciter (par le défi ou la provocation), ou encore il faut qu'un accident puisse être interprété comme première injure, mais la première injure n'a aucune valeur. Le compte des titres de gloire se fait certes au nombre de victoires sur l'ennemi mais pour dire le nombre des cycles de vengeance à partir de la première injure subie.

Comme dans la réciprocité positive, deux tendances se concurrencent. Ou bien la dialectique s'exaspère (note 5). Ou bien la réciprocité négative se relativise et tend vers la réciprocité symétrique. La valeur produite par cette forme de réciprocité symétrique est néanmoins maîtrisée de façon rationnelle par la conscience objective de la réciprocité négative.

C'est ce que nous décrit Eschyle dans la trilogie de l'Orestie : l'imaginaire de la réciprocité négative (les Erinyes, déesses de la vengeance) permet à Athéna (la Raison) de prendre le relais de Zeus (le sentiment de l'être), pour confier à un tribunal humain (le premier tribunal démocratique de la Cité) le soin de rétablir une réciprocité symétrique comme alternative de la dialectique de la vengeance.

Et dans ce cas, l'enjeu de la réciprocité négative est de soumettre la violence à la justice et au respect d'autrui (note 6).

Maîtrise de la guerre ou interdiction de la guerre, la réciprocité négative apparaît comme l'une des plus importantes inventions humaines qui permette la vie en société. Elle l'emporte bien des fois sur la réciprocité positive qui ne peut empêcher que la guerre, quand guerre il y a, ne soit l'anéantissement de l'adversaire, et la disparition de toute réciprocité.

La réciprocité négative n'est pas généralisation de la violence comme on l'a parfois prétendu, mais une façon de maîtriser la violence.

On peut le démontrer en se référant aux prestations de réciprocité négative qui ont lieu en termes réels dans les sociétés archaïques : la vengeance est légitime à la condition que la victime puisse reproduire le cycle de la vengeance car la vie et la vitalité de l'ennemi est la condition nécessaire à la réciprocité. Si cette vitalité n'est plus suffisante, on peut recourir à des compensations pour la restaurer. Par exemple dans les sociétés archaïques en compensant la perte de guerriers par des épouses afin que la fécondité des mariages lui restitue des guerriers en assez grand nombre pour qu'il puisse perpétuer la réciprocité de vengeance. La composition, elle, est un gage qui signifie pour celui qui la reçoit, un droit de vengeance que l'on exercera plus tard, en temps opportun, et en aucun cas une compensation qui le délivrerait de cette obligation de vengeance, de même que dans l'alliance matrimoniale le prix de la fiancée est un gage qui signifie que la famille de celle-ci pourra, en temps opportun, solliciter une épouse dans la famille du mari.

On ne peut interpréter l'injure, meurtre ou autre, comme un don négatif, car si l'auteur du don est bénéficiaire du prestige, le ravisseur ou meurtrier disposerait alors de l'imaginaire guerrier, et c'est le contraire qui a lieu : dans la réciprocité négative le meurtrier n'acquiert aucun âme de vengeance par le meurtre, c'est celui qui subit le meurtre qui acquiert l'imaginaire de la vengeance

On ne peut davantage dériver la réciprocité négative de la réciprocité positive, et dire par exemple qu'un citoyen lésé dans l'équilibre de la réciprocité positive auquel il participe, et qui rétablit son bon droit, initie la réciprocité négative.
Marcel Mauss a commis cette erreur, qui fut dénoncée par Firth et Sahlins. Mauss, imaginant que le donateur était intéressé par le retour du don et que la réciprocité n'était donc qu'un don mitigé d'intérêt, sur cette approximation, soutint que le donataire qui oublierait de se conduire en autre donateur dans une relation instituée de réciprocité positive provoquerait la vengeance de son donateur.

Le redressement du tort subi par celui qui n'est pas respecté comme donateur par le donataire peut, certes, entraîner la sanction, mais la sanction n'est pas la réciprocité négative. Par contre le refus de reconnaître l'autre dans un système de réciprocité positive institué, contraint à le reconnaître dans la réciprocité négative. Et l'injure devient un actif, un bénéfice, pour celui qui la subit au lieu d'être un passif ou un déficit.
Et réciproquement le refus de reconnaître l'autre dans la réciprocité négative contraint à le reconnaître dans la réciprocité positive (le pardon). Mais alors on substitue les formes l'une à l'autre.

 


[On ne peut pas plus imaginer que le meurtre soit un mariage négatif (sauf à réduire toute forme de réciprocité à la réciprocité positive) qu'imaginer que le mariage soit un meurtre négatif (sauf à réduire toute forme de réciprocité à la réciprocité négative...)]

Confondre la réciprocité négative avec une réparation ou une compensation de la réciprocité positive ou encore avec une réciprocité positive de "dons négatifs" conduit à une morale selon laquelle on n'admet la compétition avec autrui (l'agon) que pour autant qu'elle accélère la surenchère des dons (les dons agonistiques du potlatch). Mais cette réduction ne permet pas de comprendre que la réciprocité négative soit la matrice de valeurs humaines (note 7).

   

 

Peut-on construire "l'être" à partir de la réciprocité négative ? La chose est donc possible si l'on donne le primat à la conscience non plus de celui qui agit mais de celui qui subit.
Mais attention ! L'enjeu de la réciprocité reste le Tiers inclus, la médiété le sentiment éthique. Si l'actualisation dominante est la vie, pour construire du Tiers inclus il faut relativiser la vie. Si la vie est meurtre il faut accepter de mourir pour relativiser le meurtre et construire le Tiers inclus. De la même façon le riche doit accepter de donner de sa richesse pour construire le Tiers inclus.

Dans le cas contraire, si le puissant accumule ou si le vivant tue davantage, on ne construit pas ce qui est en soi contradictoire mais l'inverse : on le détruit.

La réciprocité est ainsi dynamisée par l'axe du contradictoire, l'axe de la médiété, du Tiers inclus. Cet axe on le dira du Bien.

   
   

 

6) Les deux principes : le Bien et le Mal

Qu'en est il de l'"être" qui serait construit par la réciprocité négative à partir de celui qui agit, et dont la conscience est celle de la mort ? L'être en question se présente comme inverse du précédent, comme diminuant au lieu d'augmenter. D'où le fait qu'il soit perçu comme une négation de l'"être". Il est néanmoins peut-être à l'origine de la doctrine des deux principes : du Bien et du Mal. Comme il tend vers la destruction du sentiment de l'Etre, le Mal n'est cependant que le Bien qui disparaît.

D'où (peut-être) la doctrine qu'il n'existe en fin de compte qu'une manifestation authentique de l'être divin : celle du Bien, le Mal n'étant que son impuissance. (Toujours dans un système où l'actualisation dominante est la vie)

   
   

 

7) L'interdiction du meurtre

Dans la réciprocité négative celui qui se venge perd sa conscience de vengeance, puisqu'elle s'évanouit avec la réalisation de la vengeance, et il acquiert la conscience d'être vulnérable à la vengeance d'autrui, tandis que celui qui subit l'injure a une conscience de vengeance qui s'accroît avec l'injure, et qui est pour lui une conscience d'"être vivant".

La conscience de vulnérabilité ou de mort est adéquate pour servir d'imaginaire à la décroissance de l'"être", par contre la conscience de vengeance ou d'"être vivant" est adéquate au sentiment de croissance de l'"être". L'imaginaire de l'"être" est alors l'honneur.

Si le Bien est accordé à l'imaginaire de celui qui subit dans la réciprocité négative, le Mal sera affirmé de l'imaginaire de celui qui prend l'initiative du meurtre, ce pourquoi dans les systèmes de réciprocité négative, le premier meurtre est interdit ou considéré comme un accident, ou encore rapporté à une âme de vengeance ennemie (un esprit) qui aurait déjà subi une injure.

   
   

 

8) Les relations des formes entre elles

Chose qui laisse penser que les deux formes de réciprocité inégales antagonistes (positive et négative) sont toutes deux filles de la réciprocité symétrique, il est rare de ne pas trouver la réciprocité positive et la réciprocité négative associées, et il est rare qu'elles ne nous apparaissent pas de surcroît de force égale.

- Par exemple les sociétés où la réciprocité positive caractérise les relations de proximité, donneront la préséance dans leurs relations éloignées à la réciprocité négative, et réciproquement les sociétés qui prennent comme matrice de leurs sentiments avec leurs proches la réciprocité négative réserveront la réciprocité positive aux relations les plus lointaines ;

- ou bien dans une même communauté les relations positives seront dévolues aux femmes, les relations négatives aux hommes ;

- ou bien les unes seront placées sous la responsabilité d'un régisseur (le prince), les autres sous la responsabilité d'un guerrier (le héros)...

Dans la plupart des cas les deux formes de réciprocité s'équilibrent de sorte à restaurer un équivalent à ce que serait une relation de réciprocité symétrique, comme si l'équilibre de la réciprocité d'origine ne pouvait être transgressé qu'à la condition que cette transgression soit relativisée par une transgression inverse. La maîtrise de la vie et de la mort semble conditionnée par le respect de la réciprocité équilibrée où s'engendre la conscience de conscience en tant que conscience d'elle-même.

Les sociétés substituent aisément une forme de réciprocité à l'autre. Ce n'est pas la forme de la réciprocité (l'imaginaire de celle-ci) qui leur importe mais la réciprocité symétrique car ce sont les valeurs de la réciprocité symétrique qui les motivent. Aussi pratiquent-elles souvent les deux formes de réciprocité à la fois (chacune dans une territorialité exclusive de l'autre) pourvu qu'elles concourent toutes deux à la genèse de la réciprocité symétrique.

Au niveau des cycles de réciprocité qui se reproduisent dans l'imaginaire on pourra également remplacer la réciprocité négative par la réciprocité positive et vice versa. Ce pourquoi la monnaie de l'une des deux formes de réciprocité et la monnaie de l'autre sont convertibles ou compatibles, d'autant plus que l'on veille à ce que le principe de réciprocité ne disparaisse jamais, et que l'enjeu final soit la réciprocité symétrique, et non pas l'imaginaire de la vengeance ou du don.

   
   

 

Notes
(1)
Il n'existe, me semble-t-il, qu'une théorie de la connaissance qui parvienne à coordonner entre eux les imaginaires des uns et des autres de façon rationnelle : la théorie de Stéphane Lupasco .
Cette théorie se fonde sur le principe d'antagonisme qui associe contradictoirement un phénomène à une "conscience élémentaire" qui est le contraire de ce phénomène, sous forme "potentialisée" donc, autrement dit "virtuelle". La conscience-de-l'agir est donc l'inverse de la conscience-du-subir, mais elle est le fait-de-subir sous une forme "potentialisée", "virtuelle" ; et, réciproquement, la conscience-du-subir est le fait-d'agir sous une forme potentialisée.
Ainsi, dans la réciprocité, et seulement dans la réciprocité, celui qui agit a pour conscience (conscience élémentaire) le subir de l'autre "virtualisé" et vice versa. Chacun a pour conscience élémentaire la réalité de l'autre potentialisée.

Cette relation peut être appelée relation en miroir car un miroir donne une image inverse de la réalité. L'expérience confirme : celui qui donne, acquiert du prestige, celui qui reçoit, perd la face. Celui qui subit l'injure, acquiert un idéal de vengeance, celui qui se venge, le perdetc

Mais n'est-ce pas un paradoxe que de dire que la conscience élémentaire est l'envers de l'activité, au lieu d'être l'image ou le reflet de cette activité ? Celui qui agit n'aurait conscience que de ce qu'il subirait s'il était dans la situation de subir, mais non pas de son action ?
Si l'on traduit cela par les affectivités qui accompagnent l'agir et le subir, l'agir s'accompagnerait de la sensation de subir ! Une telle conclusion condamne évidemment toute théorie qui prétendrait rendre compte de la conscience avec cette seule référence aux consciences élémentaires.

Que la conscience qui accompagne la réalité soit son contraire n'est cependant pas en cause, et cela joue bien un rôle majeur. Mais il faut tenir compte de ce qui s'instaure entre les deux polarités antagonistes des contraires par le truchement de la réciprocité, il faut tenir compte de la polarité de la relativisation mutuelle des contraires, ou dit d'une autre façon puisque chacun des deux contraires est, lui, en lui-même non-contradictoire, il faut tenir compte de "ce qui est en soi contradictoire" que nous appelons le Tiers inclus.

Dans la mesure où l'un des contraires est dominant sur l'autre, il ne sera pas totalement relativisé par la réciprocité et sa conscience élémentaire prolongera la conscience de conscience du Tiers inclus.
Pour autant que le Sujet humain, qui prend siège en chacun des protagonistes, est la conscience de conscience qui correspond au Tiers inclus, la conscience élémentaire dominante se rapportera au Sujet en question, et le "caractérisera".
Par exemple en "donnant" je n'acquiers pas seulement l'image de ce que l'autre reçoit, mais cette image témoigne de la conscience de conscience de donner et recevoir, et que j'appellerai ici "l'être du donateur". La conscience dominante qui témoigne de "l'être" en question pourra dès lors constituer son "imaginaire". C'est de l'être du Sujet dont l'imaginaire sera désormais le miroir. Toutes les Traditions disent cela en disant que l'homme est "l'image" de Dieu.

Si je "donne" plus que l'autre ne "donne", l'image inverse de "donner" sera bien "recevoir", mais cette image ne sera pas seulement celle du fait que je "donne" mais du fait que la relativisation de "donner" par "recevoir" engendre la conscience de conscience (ici le concept du don). Si l'on appelle le sentiment de cette conscience de conscience "l'être", l'image "d'acquérir" prolongera ou auréolera la croissance de cet être. Elle sera son imaginaire, ici le prestige du donateur.

Mais entre ce que l'on vient de nommer "l'être" et "la conscience élémentaire" qui le caractérisera, il n'y a pas de hiatus. En "donnant" on acquiert du prestige et le prestige est "l' apparence ou l'apparat de l'être du donateur".

   
   

(2) Voir : Maussienne dans D. Temple et M. Chabal, La réciprocité et la naissance des valeurs humaines, pp. 17-50.

(3) Voir : La réciprocité négative chez les Jivaro, dans D. Temple et M. Chabal, La réciprocité et la naissance des valeurs humaines, pp. 80-126.

(4) Voir : La réciprocité symétrique dans la Grèce antique - 2 - L'éthique à Nicomaque dans : D. Temple et M. Chabal, La réciprocité et la naissance des valeurs humaines, pp. 187-219.

(5) Voir : La réciprocité négative chez les Jivaros dans : D. Temple et M. Chabal, La réciprocité et la naissance des valeurs humaines, pp. 81-126

(6) Voir : La réciprocité symétrique dans la Grèce antique - 1- De la réciprocité positive à la réciprocité symétrique dans l'Iliade et l'Odyssée dans : D. Temple et M. Chabal, La réciprocité et la naissance des valeurs humaines, pp 185-186.

(7) Voir : Dominique Temple, La réciprocité négative, Commentaire critique de quelques théories de la vengeance.
Traduction de "La reciprocidad negativa y la dialectica de la venganza", dans Teoria de la Reciprocidad, tome II, pp. 387-473 (PADEP GTZ) sous la direction de Javier Medina et Jacqueline Michaux, La Paz-Bolivie (2003), pp. 387-473.
Publié en français sur le site : http://dominique.temple.chez tiscali. fr