index conférences
     
   

SIDI BARO N'DIAYE

Les Mourides au Sénégal

 

CONFERENCE - DEBAT

CAURIS

   
         
  sommaire    
   

 

- L'économie mouride

- les fondements du mouridisme

- questions et réponses

   
       
   

L'économie mouride

Dans la deuxième moitié du 19 ème siècle, la doctrine de Cheikh Amadu Bamba MBaké est née. Le Cheikh Amadu Bamba est en fait le fondateur du mouridisme au Sénégal. Mouridillahi veut dire ceux qui vont vers Dieu, ceux qui doivent travailler à aller vers Dieu. C'est ça que Mouride signifie.
L'origine
Théoriquement, cette période est marquée par la disparition de la scène politique des principaux chefs traditionnels qui ont combattu l'administration coloniale. La particularité du mouridisme est d'être né justement en ce moment précis de la défaite des chefferies traditionnelles, ce qui a expliqué le ralliement de populations entières à cette doctrine.

Les valeurs islamiques ont été le refuge des masses entières désorientées par l'anarchie qui sévissait dans les contrées du Baol et du Cayor. Le Baol c'est la région de Djourbel au Sénégal. Mais aussi le Baol et le Cayor sont un royaume qui englobe la région de Thies, qui était vraiment , à ce moment là, à la merci des guerriers Ceddo qui faisaient des rapines et des razzias. Et donc, ils avaient, en ce moment précis, entendu l'appel ou les paroles de Cheikh Amadu Bamba et se sont orientés vers lui. Dans l'espace laissé vaquant par l'aristocratie traditionnelle vaincue par le pouvoir colonial, dans cet espace, allait éclore et se confirmer la confrérie Mouride. Donc ce sont des zones essentiellement Woloff. Par ailleurs Cheikh Amadu Bamba n'était pas lui-même Woloff . Il est d'origine Peulh et donc c'est un Ba qui est devenu Mbacke, la raison on ne sait pas.

Hasard, coïncidence fortuite, ou démarche cohérente, inspirée par l'enseignement d'une philosophie du travail et de l'effort laissée par le guide spirituel, peut-être tout à la fois, en tout état de cause, un constat s'impose aujourd'hui au Sénégal : à la tête des fortunes célèbres se trouvent des Taalibés Mourides. Notamment El Adj Babacar Kebe, dit Noliouga, et El Hadgi Djiby Mbaye sont des Sénégalais notoirement connus.

L'économie : il est important de remarquer que l'essentiel des leviers de l'économie informelle est entre les mains des Mourides qui constituent pour l'essentiel, qui contrôlent pour l'esssentiel le commerce. Ils se sont substitués aux forcepts aux Libano-Syriens qui monopolisaient jusqu'ici le secteur et ce depuis l'époque coloniale. Donc les Libano-Syriens depuis quatre ou même cinq générations étaient une colonie de peuplement que la France avait transplantée au Sénégal et à laquelle elle avait donné des moyens de faire le commerce de gros de demi-gros et le commerce des oléagineux, ceux que l'on appelait les traitants, et, il est vrai, en défiant les règles établies et avec un sens bien aiguisé des affaires, mais sans aucun doute dans l'intérêt du Sénégal car ils ont par ce biais favorisé l'émergence d'un capital national qui aujourd'hui a des ambitions beaucoup plus importantes de redistribution de produits.
En fait les Mourides sont passés du petit commerce à la récupération de la distribution du gros et demi-gros et aujourd'hui ils passsent à une étape industrielle et entrepreneuriale, c'est-à-dire qu'ils sont arrivés aujourd'hui à créer des entreprises dans le bâtiment, dans le transport et dans l'industrie secondaire, notamment le textile, puis dans l'industrie de transformation parce qu'ils commencent à mettre en place la fabrication des moulins à mil, des charrues et aussi la fabrication de vinaigre et de javel.
Tout ceci se fait dans le secteur vraiment non contrôlé de l'Etat, dans un secteur typiquement informel. Cette forme d'accumulation primitive du capital, nécessaire au décollage d'une économie quelle qu'elle soit, aurait tardé à se réaliser s'il n'y avait pas effectivement des hommes d'affaire mus par un idéal mais également et surtout par une foi religieuse et la conviction d'appartenir à une communauté. On le comprendra quand on verra un peu son mode d'organisation, mais effectivement c'est la base de cet acte de foi, de cet acte de dévotion, qui a poussé les populations.
Avant, au Sénégal on se moquait d'eux parce qu'on disait que les "Baol-Baol" ramenaient en ville toutes les ordures que l'on sortait de la ville, parce qu'ils faisaient les poubelles, qu'ils ramassaient tout ce qui peut être reconditionné, recyclé, et qu'ils le revendaient. Et donc, ils vivaient carrément en partie de ça en partie du petit négoce. C'est ça que l'enseignement de Cheikh Amadu Bamba a incontestablement influancé, la réussite des Mourides dans les affaires.
Cette réussite est à la fois un esprit et une organisation. L'esprit découle naturellement de cet enseignement qui selon le Cheikh Tidjane Sy, je cite : " Comme le prophète Mouhamad, il a voulu se considérer comme un homme, la meilleure façon d'approcher les amis était de prouver à ses adeptes qu'il était comme eux, c'est-à-dire vivre et travailler comme eux."
Le travail étant pour lui l'activité sociale qui exprime le mieux l'existence et le sens de l'homme " et le même auteur de poursuivre son témoignage en avertissant : Mais le travail pour lui n'a jamais été une finalité, il n'est qu'un moyen de vivre. Le fruit du travail humain doit engendrer et entretenir l'homme " A en croire le même auteur c'est autour du travail et plus exactement de la solidarité que le travail a su créer que la cohésion sociale se réalise et se perpétue chez les Mourides. C'est la théorie du travail qui engendre une solidarité dans le groupe et qui insuffle au groupe une cohésion basée sur le travail. Chez les Mourides tout cela a été rendu possible grâce au fait que le message du Cheikh Amadu Bamba est resté profondément enraciné dans le substrat négro africain qui exalte le travail. Voilà également pourquoi la réussite de ce que l'on appelle aujourd'hui le Baol-Baol, donc les habitants du Baol, et les Moudou-Moudou qui sont les émigrés qui sortent du Sénégal, identifiés tous comme Taalibés Mourides, ou du moins la majorité, paraît d'abord comme un état d'esprit.

Elle est également inspirée par une organisation car il n'y a pas que leur ardeur au travail. Il y a aussi les formes collectives du travail qui maintiennent le caractère cmmunautaire de la formation sociale mouride.
Selon le Cheikh cette propension à l'organisation, à s'organiser, trouve ses racines dans la Daara mouride. La Daara c'est l'école coranique. Les Daara sont remplacés dans la société civile parce que l'on appelle Dahira. Les Dahira ce sont des associations mourides.
Ce qui se fait dans les Dahira est ce qui se fait dans les Daara mais à l'échelon civil.

Des économies libérales, on note surtout l'apport inestimable d'Adam Smith qui a analysé avec une rare pertinence la valeur du travail dans l'organisation sociale en montrant surtout comment pas sa fonction créatrice de richesses, il joue un rôle fondamental dans le développement économique. A Karl Marx de considérer que le travail est un formidable moyen de libération de l'homme. Et, dès lors, l'une et l'autre théorie trouvent sans aucun doute un terrain de confirmation authentique dans la mise en place du développement, et dans la mise en place de la doctrine du travail dans le mouridisme.

   
       
   

Les fondements du mouridisme

60 ans après sa disparition ce que je retiens de la philosophie de Cheikh Amadu Bamba repose sur trois axes. Le premier axe : le refus actif de toute domination, basée sur la non-violence. Ainsi le concept de "Qidma", disposition qu'il considère comme infaillible parade contre le mal, et absolue attirance vers le bien
trois axes ont été définis par ce que l'on peut appeler le "Quidma" .
- L'axe qui lie l'homme à son Seigneur. Il réside dans le culte sincère et exclusif que la créature doit à son créateur car, comme il écrit dans "Masalik al Jinan", le meilleur des états d'un croyant qui uvre pour Dieu est l'état d'humilité, et la contrainte de recourir à Dieu, car cela lui ôte tout moyen de subterfuge, si ce n'est de compter sur la miséricorde de Dieu, ce qu'en termes politiques, moi, j'apprécie par la conséquence évidente de ce premier axe, la nécessité de considérer comme pure vanité toute forme d'exercice du pouvoir autre que celui d' Allah, celui de Dieu. Et cela suffirait à ôter à l'administration coloniale toute forme de légitimité. Dans le texte sus-cité ce que Cheikh Amadu Bamba montre c'est que le croyant doit la soumission qu'à Allah, le reste n'étant que vanité. A partir de ce moment là, l'ordre colonial comme l'ordre traditionnel féodal ont été rejetés par lui comme paramètres de la société
- L' axe deux est celui qui lie l'individu à sa société. Plusieurs impératifs catégoriques en forment la substance dont le devoir absolu de faire le bien en toutes circonstances. Pour lui, il ne doit exister d'états humains où l'homme est grisé par son propre honneur et sa puissance. Pour lui, l'homme ne doit en aucune manière croire à d'autres créatures ou a un autre créateur . Il ne doit que craindre et espérer de Dieu. C'est toujours dans "Masalik al Jinan" qu'il dit ça et l'on pourrait citer beaucoup d'autres vers tels que dans "Jawartu" où se trouve la sacralisation du travail. Dans "Jawartu", il montre que le travail peut avoir pour récompense cent paradis, par exemple le simple fait d'être agriculteur parce que dans le fait de retourner la terre il ya une mystique divine là dedans : ça fait respirer le sol, ça fait respirer les plantes, etc, etc., Il y a toute une mystique dans ce texte.
- Letroisième axe est à rechercher dans un rapport du croyant à soi. Cette fois c'est le rapport de l'homme, le croyant à l'humain, c'est-à-dire d'une amélioration de soi, l'aspiration aux bienfaits de l'Eternel. Cheikh Amadu Bamba dit que le Mouride doit mériter d'être le lieutenant de Dieu sur terre. Pour cela, il doit se conformer à la conduite de l'envoyé de Dieu, le prophète. Il doit de façon permanente s'exercer à l'ascèse. Il doit se prémunir contre les tentations du démon et il précise que cet homme, seul, est digne d'être réceptacle de la foi musulmane. Donc il a incité ses ouailles à se conformer à ces préceptes fondamentaux de la révélation Mohamedienne. En élevant ainsi le musuluman, Cheikh Amadu Bamba effacait dans la conscience des masses paysannes le syndrome des damnés de la terre et l'image barbare que véhiculait l'idéologie coloniale. Le plus important n'étant point d'être riche ou pauvre, noble ou casté, assimilé ou indigène, mais tout simplement d'être un homme digne de recevoir les bienfaits de Dieu dans ce monde colonial où prévalait la distinction sanctifiée par les textes de loi entre les blancs et les noirs, entre les indigènes et les citoyens, rien ne pouvait être plus subversif que cet appel du Cheikh que Dieu est à équidistance de tous les hommes en dépit de leur être et de leur avoir.

Dans la pratique des Mourides, les trois axes de la Qidma sont en partie constitutifs de ce que l'on peut appeler aujourd'hui le paradigme mouride. Ainsi loin d'être un erzat de pratique religieuse musulmane tropicalisée comme l'ont proposé les rapports de l'administration coloniale. La Mouridia est une autre dimension de la foi. Cette réapproprition de l'Islam est dans son essence une refondation du tissus social sénégalais, un nouveau modèle de société s'intégrant dans l'universalisation de l'Uma islamiste

En fait, dans l'analyse, il est possible d'aller plus loin et de faire remarquer que Cheikh Amadu Bamba posait dans l'acte conjugué de la résistance et de la refondation, le socle d'une société civile autonome capable d'échapper à la capture de l'Etat. C'est, bien sûr, un mode de réciprocité entre les hommes, la nature et Dieu dans toute sa dimension d'amour .Voilà le mouridisme tel qu'il est structuré philosophiquement et je m'arrête là.

   
       
   

Questions et réponses


Les interventions et les questions sur cet exposé n'ont pu être enregistrées. Elles portaient sur :

- la collaboration des Mourides avec la force établie au niveau de l'Etat quelle qu'elle soit,

- le manque d'analyse de type marxiste ou du moins de critique anticapitaliste au sein du mouridisme,

- le rôle de l'informel tantôt justifié comme suppléance d'un Etat déficitaire tantôt stigmatisé comme moyen d'échapper au contrôle de l'Etat,

- la contradiction d'une solidarité mouride distincte de la solidarité nationale.

- l'interface entre le communautaire et l'islam envisageant le recours à l'Islam contre le capitalisme comme la conséquence d'une limite de la communauté (son impuissance).

Réponses

Le Cheikh lui-même après moult démêlés avec l'administration coloniale fut exilé au Gabon, en Mauritanie, retour au Sénégal, résidence surveillée à Diourbel, et quand la guerre a éclaté en 14 il disait que le mal que combattaient les Blancs n'allait pas s'arrêter uniquement à la France mais au genre humain, et donc il a contribué à l'effort de guerre. Il a donné beaucoup de ses Taalibés notammentMakhane Diop qui était fils de Hatjoor Ngone Hatyr Diop Damel du Cayor comme soldats. Il a eu la légion d'honneur et on lui a attribué à titre privé la ville de Tumba qu'il avait créée. C'était un village à l'époque et donc à partir de ça il y eut l'introduction de l'agriculture de rente, l'arachide, et donc, il a dans ce moment là poussé les gens à travailler l'arachide, et à constituer des moyens financier assez importants à un moment de l'histoire du pays.
Par la suite, la confrérie s'agrandissant les comportements sont devenus plus ou moins orthodoxes. Les Ndiouga Kébé et autres, ils sont connus comme Taalibés, mais ils ont fait leur richesse en dehors du pays et ils y sont revenus. Ces gens-là se sont enrichis dehors mais il y en a d'autres qui se sont enrichis à l'intérieur du pays.
Il y a aussi les Modou Modou : ce sont les travailleurs émigrés qui font du commerce ici, en Italie, aux iles Fidji, au Japon, qui thésaurisent et qui s'enrichissent de la même manière, de façon informelle comme je vous ai dit. L'Etat n'a aucune prise sur leurs affaires. Ils sont en marge des lois, de ce qui est autorisé. Ils ont des banques parallèles. Ils mettent peu souvent leur argent sur des comptes bancaires..
Vous allez à Paak Lambay vous avez besoin de quinze millions, cest d'une poche que ça va sortir, il n'est pas besoin d'aller à la banque. Et, donc, ils sont vraiment en marge des taxes annuelles, des patentes, des trucs que l'Etat a mis en place.
Ils sont très dispersés, ils sont très très actifs, et ils gèrent de façon parallèle leurs biens. Aucune solidarité interindividuelle pour que la fortune des milliardaires connus dans le mouridisme soit le fruit du travail de la communauté. Non ! le fruit du travail est individuel. Celui des milliardaires est très douteux : ( ) est accusé d'avoir empoché de l'argent pour avoir géré les enfants du Pdt Tombal Baye du Tchad. Mais ça, les Mourides en ont fait table rase. Et Ndiouga Kébé pareil : il s'est enrichi au Zaïre. Comment ? On ne sait pas, par le trafic du diamant certainement. Ce qui est important c'est de voir qu'ils cherchent l'argent par tous les moyens, voilà.

Le titre de mon intervention "un modèle de redistribution : le cas Mouride" n' a pas traité il est vrai de la redistribution parce que mon exposé est une introduction à ce débat.
Pourquoi ? Il ne faut pas voir le Mouridisme en dehors du mouvement philosophique, il faut comprendre aussi le mouridisme comme ce qui soustend philosophiquement cette affaire là. Il y a le Khalifat, il y a les Taalibé, mais tout ça est plaqué sur une structure traditionnelle.
Les Maas je n'en parlerai pas d'une certaine façon parce que tout simplement c'est très différent du Mouridisme. Vraiment la Tidjania c'est du soufisme scientifique. Cheikh Ahmed Tijaani est mort au Maroc à Fez alors que le mouridisme c'est essentiellement sénégalais. Donc l'acte de naissance n'est pas le même. Deuxième aspect c'est essentiellement rural comme d'ailleurs la Tidjania, mais la Tidjania est plutôt une confrérie qui ne s'est pas développée telle comme le mouridisme. Les Dahira, c'est quoi ? Ce sont des associations de solidarité, ce sont des écoles d'entraide de solidarité mais uniquement au niveau social,
ça n'a rien d'économique, vous ne verrez jamais une Dahira qui va investir, ouvrir une entreprise ou une industrie ca n'existe pas encore.

Ce n'est pas les Mourides au niveau des Cheikh qui cadrent ou régentent et qui orientent la mise en place des structures économiques, ça ne le regarde pas. Le Cheikh, lui, l'économique c'est pas son problème. Son problème, lui, c'est de dire j'ai besoin de 3 Milliards dans une semaine, et que ces 3 Milliards, les Taalibés les lui rassemblent et les lui rapportent. Lui, c'est ça son problème.
Aux Taalibe de faire une certaine forme d'action : ca peut être finir la bibliothèque de Touba, ce peut être le nettoyage de la ville, d'appliquer donner l'ordre de ne plus fumer. Donc c'est ça le domaine du Cheikh.

Qu'est ce qui se passe avec ce qu'on apelle les Modou-Modou. Moi , je fais du commerce, d'autres copains font du commerce, ce sont les Taalibé, à plusieurs niveaux de la distribution. Alors, Moi, je suis grossiste, comme on dit, j'ai mon camion, je prends de la marchandise en Italie et je vais jusqu'en Espagne, et je roule à travers la France, je vais à Montpellier, je débarque chez un de mes compatriotes, et on appelle tous les autres pour dire "un tel est là, il a ça et ça comme marchandise". Les gens viennent, ils prennent la marchandise, ce dont ils ont besoin. Le camion va à Perpignan, ainsi de suite, en se rapprochant de l'Espagne. Chacun prend sans donner un sou. Je note. Bon, Irénée a pris trois mille, l'autre pour cinq mille etc et je continue mon chemin, je vais, je reprends de la marchandise, je reviens, mais au lieu de passer par Montpellier, je passe par Bordeaux et je remonte vers Paris. On fait ce circuit. Il distribue, mais ne rentre pas de sous. La semaine suivante, il repasse ici et tous ceux qui ont vendu payent une partie de la marchandise, ou payent tout et ainsi de suite. Ça c'est des valeurs traditionnelles, une dette ça se paye. Il n'y a aucune raison que je prenne la marchandise de l'autre et que je le truande. Si je le fais, les autres vont être au courant et comme on a une même dahira ici quand on y sera , on me monterra ce que le Cheikh a dit par rapport à ceux qui ne payent pas leur dette, par rapport à l'absence, comment dirai-je, de reconnaissance de quelqu'un qui a eu la confiance de donner la marchandise sans un rond. Il y a toute une forme de répression morale, religieuse et sociale, qui fait que personne ne pense profiter de l'autre. Celui qui vend aussi ne va pas mettre 4 ou 5 F de plus sur sa marchandise. S'il a acheté sa marchandise 1000 F pour le fait de l'amener à Montpellier il va me la donner à 1150 mais il ne va pas me la donner à 1500 parce que, là, j'aurais des difficultés à l'écouler et je ne ferai pas de bénéfice parce que privé d'une marge normale. Il y a des codes de comportement normal comme ça qui sont extrêmement solidaires et qui n'obéissent pas du tout aux lois du marché d'ici, du tout.
Mais si nous prenons le milieu rural au Sénégal dans les villages qu'est ce qui se passe. Dans les villages il n' y a pas d'école publique, c'est l'école coranique. Les enfants sont donnés à un Cheikh qui est là, qui leur apprend le coran. Les gosses, ils bossent, ils travaillent aux champs. Les populations environnantes donnent au Marabout ce que les gosses doivent manger. C'est là, la solidarité à ce niveau là, et les gosses doivent aller aux champs, et le soir ils demandent l'aumône. Il peut arriver que dans la communauté une personne soit malade en plein hivernage. On ne va pas laisser ses champs être débordés par les herbes. C'est toute la communauté qui va travailler les champs de ce gars malade. C'est ça les formes de solidarité. Et si le gars reste au lit jusqu'à la récolte, c'est le village qui assumera la récolte. Ils n'ont pas besoin que le Cheikh ou le Marabout leur disent ce qu'il faut faire. Le Marabout n'est peut être même pas au courant de la maladie de ce gars mais l'organisation sociale veut que cela se fasse comme ça. Mais cela n'est pas spécifique aux Mourides. En milieu Serrere c'est pareil. Donc ça, c'est une forme d'organisation sociale traditionnelle.

Mais il n'y a pas eu de solidarité économique dans le sens où 15 bonshommes travaillent pour une personne. Le Mouride est très très discipliné. par contre ce qui est dit dans le Coran c'est obligatoire, plus les demandes du chef pour l'ensemble de la communauté. Quand les populations sont vraiment fatiguées, il nourrit des milliers d'individus dans Touba et ses alentours. Les gens donnent à manger à tout le monde, et ça c'est dans le cadre de la communauté. C'est de la solidarité sociale, mais de survie, mais c'est de la survie, ce ne peut pas être développé dans le pays.

Maintenant l'informel est en train de devenir formel. Ça aussi il faut le voir
Le Mouride achète le mil, le stocke et durant les marchés hebdomadaires, le revend ou en ville, notamment à Dakar. C'est un rôle que ne fait pas l'Etat en dehors du Commissariat à la Sécurité Alimentaire et encore. La solidarité je ne la vois pas dans le sens des marchés, ce sont des solidarités sociales. Pour moi je me félicite pas personnellement de l'économie informelle telle que c'est. Je suis d'accord que ça a maintenu l'équilibre du pays dans les dures crises et les plans d'ajustement structurels, dans les maisons et les familles. Ca a contribué à la stabilisation sociale, ça on peut le reconnaître, mais le problème de l'économie informelle si l'on y prend garde, c'est que ça étouffe les secteurs formels par le manque de liquidités notamment parce que nimporte quelle monnaie que tu ammènes au sénégal tu peux l'échanger sans aller dans aucune banque, n'importe quelle monnaie du monde. Il y a même des choses bizarres c'est comme ça. Et donc ça ne contribue pas vraiment à la thésaurisation de l'économie modèle. Est-ce que c'est à condamner ? Avec le régime qu'on avait pour moi c'était une bonne chose. Car si tous ces sous étaient allés dans les caisses des banques, peut-être que l'Etat en aurait profiter de façon gabegique. Mais à ce niveau-là, c'est différent d'une époque où il y avait les Marabouts entrepreneurs. Cela existait au Sénégal mais a a tendance à mourir.

Entre la cohabitation et l'impossibilité de la cohabitation avec l'Etat moderne, tout le monde sait que l'école malickite aide les pouvoirs en place parce que selon eux c'est Dieu qui nomme les dirigeants. Discuter les gens en place quels qu'ils soient c'est quelque part se mettre en contradiction avec le choix divin. Les Soufi que ce soit les Tidjanes ou les Mourides relèvent de l'école Malickite. Ce sont des Soufi, des Soufi scientifiques très collaborateurs avc le système étatique depuis l'indépendance jusqu'à présent. Cheikh Amadu bamba a collaboré avec les colons pendant la guerre avec l'affaire Tellard, l'histoire de la Grande mosquée. Le pouvoir colonial l'a quelque part soutenu aussi. Le fait qu'il craignait qu'il soulève une jihad comme l'avait fait Maba dans la Tidjania. Ils ont toujours collaboré avec le système en place soit les Tidjanes soit les Mourides. Il n'y a pas contradiction avec l'Etat. Par contre il y a une nouvelle aile du mouridisme qui tente de s'accaparer de l'Etat. Les intellectuels du mouridisme qui ont fait leurs humanités en Europe tentent de s'accaparer du pouvoir pour au moins faire du lobbying. Ça, ça existe.
Contrairement au fondateur et au dernier Khalife en tout cas chez les Mourides ils ont tous été en contact avec l' Etat. C'est comme ça. C'est le propre des Mourides. Il y a deux Khalifes qui ont été très très près du pouvoir, c'est le cas de Falilou qui était très proche de Senghor et c'est Halad qui avait des accointances avec Diouf
Dans les confrèries c'est permanent la collaboration avec l'Etat depuis Senghor jusqu'à Diouf c'est une constante. Les confréries sénégalaises sont des sortes de théocraties sans le pouvoir. Ça, il faut le voir comme ça. Donc, le pouvoir est dans les mains de l'Etat moderne. Mieux on est de mèche, avec mieux c'est : ça c'est une vérité. Ça dépend aussi de la personnalité du Khalife qui est en place. Il y a eu des Khalifes avec qui ça ne passait pas du tout avec l' Etat.

Pour en revenir à la question de la redistribution, au modèle de redistribution communautaire proprement dit , les mécanismes ne sont pas perceptibles en ville. C'est en campagne que l'on trouve le mode de distribution, c'est sur le terrain qu'on vit comment les Mourides redistribuent.
Le Khalifat et la communauté : il y a le mouvement de va et vient selon les besoins : ça c'est clair. Pour l'eau, l'électricité, les écoles, les dispensaires, c'est pareil. Actuellement, ils sont en train de construire un hôpital qui va coûter plus de six milliards à Tumba. L'Etat n'a rien apporté là dedans. Ce sont les Taalibe qui financent la participation annuelle, c'est un mois de salaire. Partout cet argent est regroupé puis ils font le point. Quand le Khalife, en pleine sécheresse et qu'on faisait le prélèvement aux fonctionnaires, lui, a dit : " j'ai besoin de trois milliards pour vendredi prochain " Trois jours après il a dit :"ça suffit, j'en ai quatre". On ne peut pas leur reprocher d'être comme ça. Ils se sont structurés comme ça. Il y a effectivement des intellectuels mourides, dont le Président actuel, qui collaborent avec l'Etat, quand il va jusqu'à dire par exemple qu'il ne fera rien si le Khalife ne lui en donne pas l'ordre. Lui est Président du Sénégal, mais le Khalife, lui, c'est le superprésident. C'est une réalité parce que c'est un Taalibe Mouride. Il est né dans ça, etc., etc., et il sait qe c'est une grande masse électorale. Donc il vaut mieux être dans les bonnes grâces des Mourides. Donc le Président Wade dit au Khalife "je ne ferai rien si lui-même ne m'en donne pas l'ordre" et quand il voyage il doit lui rendre compte. Voilà exactement ce qu'il fait. Ca nous gêne, nous, parce que l'on ne conçoit pas une coprésidence au Sénégal. Mais, de fait, il y a une coprésidence que Wade nous a imposé. Les gens disent c'est des choses qui le regardent. Mais le danger serait effectivement qu'il y a des jeunes intellectuels qui sont vraiment une orthodoxie dangereuse mais le Khalife actuel les a un peu plumés. Leur chef disait que de toutes façons si on suit ce que dit leCoran ce ne serait plus un Mbacke qui serait au Khalifat. A cause de la conception féodale et théocratique qu' ils ont du Khalifat, ces gens là ont été refroidis à partir de cette déclaration. Il y a aussi des conflits internes parce que la confrérie est tellement grande, entre les familles, entre les Taalibes qui font allégeance à tel ou tel Marabout

L'Etat ne maîtrise pas les activités artisanales. Or, c'est ce qui fait vivre au moins 30% de l'économie nationale. Ca ne fait pas la richesse d'un individu mais ça aide les populations à vivre. Les gamins qui ne peuvent aller à l'école sont formés sur le tas et deviennent excellents qui à la fin de leur apprentissage sont capables de tenir leur famille. Il y a un aspect social de la chose qui est la valeur ajoutée de l'informel.

A Tumba on va pour éviter d'avoir à payer des taxes ou des impôts Mais ça ça vient de la faiblesse de l'Etat pas de l'informel. Tous les gens qui font ces trucs c'est des gens connus. C'est l'Etat qui n'a pas joué son rôle. Si l'on est capable de faire venir de France des containers qui échappent à tout contrôle c'est qu'on a les moyens de payer la douane. Que les douanes soient corrompues ou ferment les yeux parce que tu es le cousin du grand Marabout ça c'est parce que des gens n'ont pas fait leur boulot. Pour moi, c'est pas ça l'informel. Sincèrement ces gens là sont pour moi des trafiquants.

Cependant comme je l'ai dit l'informel a tendance à se formaliser. Ceux qui ont thésaurisés ils ont tendance à acheter des entreprises, à monter des entreprises et à vouloir devenir grand. Ils ne peuvent pas échapper à mon avis aux lois du marché, certains y sont déjà, d'autres arriveront, mais cela n'a rien de communautaire ce dont on parle là.
La solidarité communautaire, c'est essentiellement dans les campagnes encore une fois pas dans les villes