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L' ENTREPRISE DE RECIPROCITE

III

CONTRIBUTION

Réflexion sur l'antinomie de la réciprocité et la non réciprocité au cours de l'histoire en rapport avec l'entreprise

par

Dominique TEMPLE

 

Je voudrais donc partir des difficultés soulignées par Magloire dans les sociétés castées ou tribales en Afrique et qui donc créent des conditions négatives pour le développement de l'entreprise individuelle, parce qu'effectivement on voit que d'une façon générale comme nous le rappelait récemment Abdourahmane Seck en se référant à un philosophe africain, Alassane N'daw, l'artisan est encore casté.

Alors je voudrais dire un mot sur les conditions de libération de l'artisan dans l'histoire européenne parce que ces conditions vont permettre le développement de l'entreprise individuelle d'abord, ensuite de l'entreprise privée et je ferai une distinction entre entreprise individuelle et entreprise privée.
L'histoire de cette libération de l'artisan qui va devenir l'industriel, l'histoire de cette libération est très particulière et il y a des aspects de celle-ci qui sont spécifiques à l'Europe et il y a aussi quelque chose qui me paraît très général sinon universel.


Disons que sur le continent européen ce que j'appelle les deux paroles, les deux modalités reconnues de la fonction symbolique (le principe d'opposition et le principe d'union, la parole religieuse et la parole politique), ces deux paroles sont tout à fait distinctes. Elles sont même séparées, et elles alternent au cours de l'histoire au pouvoir. Ce qui n'est pas le cas dans toutes les sociétés du monde. Et ceci est donc une particularité européenne. Par exemple, dans l'antiquité grecque c'est la parole politique qui domine à Athènes, dans l'antiquité romaine c'est la parole politique qui domine mais à la fin de l'empire romain et peu après les grandes migrations des peuples de l'Est c'est au contraire la parole religieuse qui s'impose et qui va donc informer jusqu'à l'économie politique.


Mais il se passe, sous couvert de cette séparation de la parole politique et religieuse, un phénomène très particulier et très important, c'est que lors du relais du pouvoir politique au pouvoir religieux on oublie les structures de base qui ont été les matrices des valeurs éthiques de référence : les valeurs qui étaient exprimées par la parole politique seront transcrites dans un langage religieux mais leurs matrices seront oubliées. C'est-à-dire que jusqu'au Moyen Age on va rapporter tout le pouvoir de la parole à quelque chose qui n'est plus la structure de base démocratique athénienne ou la structure de base démocratique romaine, on va la rapporter à la toute puissance de la fonction symbolique et à sa modalité religieuse.
Il y aura non pas seulement traduction de la valeur d'un langage dans l'autre (les valeurs politiques peuvent en effet être transcrites dans le système religieux, par exemple la gratuité en grâce, le don mutuel en charité) mais il y aura inversion de priorité puisque les valeurs ne sont plus produites par des structures de base mais ce sont elles, les valeurs, qui informent l'organisation de la société, qui dictent à la société ce qu'elle doit faire y compris sur le plan économique.

Cette inversion est en partie due à ce que la traduction religieuse disqualifie les structures politiques d'origine et ne leur substituent pas d'autres structures. Cette inversion donc crée ce que l'on peut appeler d'un terme qui à l'époque a un grande résonance, la sujétion. Les hommes sont les sujets de Sa Majesté, elle-même le Sujet de la Papauté , et c'est de cette sujétion que les populations vont tenter de se délivrer par la suite.


A partir de la fin du Moyen Age, commence grâce aux artisans, une rébellion contre la sujétion parce qu'ils s'intéressent à la production de choses artificielles qui échappent au contrôle du pouvoir symbolique, ils développent une conscience objective et une rationalité sanctionnée par l'expérience et non plus par l'autorité d'une parole révélée, et bientôt la science échappe donc à la parole religieuse régnante.


Alors ils créent un environnement nouveau, artificiel, de plus en plus efficace et tellement efficace même que les castes qui s'étaient emparé du pouvoir, c'est-à-dire les nobles et les prêtres ne peuvent plus ne pas faire appel à eux.


Je reviens sur le phénomène de l'
inversion car il y a quelque chose de très important qui a lieu à ce moment là que je j'ai réservé pour à présent le souligner car ce sera ce qui nous guidera, c'est que lorsque l'on oublie les structures de base et lorsque la conscience, la fonction symbolique, la parole, est assujettie à un pouvoir suprême qui prétend la légitimer vis-à-vis d'autrui on instaure une relation de non-réciprocité entre ce pouvoir suprême et les hommes assujettis.

Entre d'une part la charité par exemple ou la grâce qui sont les expressions de ce pouvoir suprême et qui commandent à l'époque toute l'économie politique et d'autre part l'extrême dénuement des hommes disqualifiés, il n'y a aucune réciprocité. Autrement dit la réciprocité des structures matricielles est placée sous tutelle de la non-réciprocité d'une parole despotique.

C'est contre cette non-réciprocité, c'est contre ce despotisme que le nouveau pouvoir amorcé par les artisans, mais ensuite développé par les commerçants et bientôt par les financiers va se dresser. C'est contre ce despotisme et la non-réciprocité que se prépare sous couvert des Lumières, la Révolution. La Révolution naît avec la contestation de toute sujétion, c'est-à-dire avec la libération de la liberté pour tout le monde.


La liberté c'est la première revendication donc que l'on doit à l'émancipation de l'artisan. La liberté mais aussi et immédiatement la propriété, la propriété sur son travail, sur son activité qui ne va plus être dépendante de statuts prédéterminées dans le pouvoir despotique, dans la non-réciprocité, mais qui va être revendiquée comme droit universel c'est-à-dire entre hommes libres et égaux et selon une modalité fraternelle. Alors on voit déjà se développer les thèmes de la Révolution, du moins les deux premiers la liberté et la propriété.


Dans son exposé, Magloire a insisté sur une question importante : la question de la propriété. La propriété disait-il, est elle visible ? Ou n'est-elle pas visible ? Partout où elle n'est pas visible on a un problème assez grave, l'entreprise est contrainte de se replier dans ce qu'il a appelé la tribalisation ou encore la castisation.


La liberté et la propriété, cela donne des volontés individuelles souveraines les unes par rapport aux autres et c'est là que naît ou que peut naître une nouvelle forme de réciprocité débarrassée du pouvoir parce que les hommes sont alors capables d'établir entre les uns et les autres un rapport objectif, délivré de toute sujétion à l'imaginaire de chacun afin d'arriver à une expression commune universelle. La volonté de chacun sur la destination de son travail , devant respecter ou se relativiser par le respect de la volonté de l'autre sur son travail, c'est ce que l'on a appelle le
contrat social. Donc le troisième terme qu'il faut introduire ici après la liberté et la propriété c'est celui de contrat social. Le contrat social c'est la forme de la réciprocité libérée de tout imaginaire. C'est donc l'expression de la démocratie politique.

Et je lie l'avènement de l'entreprise individuelle avec le contrat social et avec la démocratie de façon théorique et non pas seulement comme un avènement spécifique de l'Europe, bien qu'il se soit produit dans les conditions définies comme spécifiques de l'histoire européenne puisqu'on ne retrouve pas sur d'autres continents cette balance entre la parole politique et la parole religieuse, ni cette obligation de se libérer du despotisme religieux né de la subversion d'un ordre politique par une organisation religieuse qui sont eux des phénomènes particuliers. Ce qui est important c'est la libération de toute sujétion pour qu'advienne la liberté des uns vis-à-vis des autres, une liberté délivrée de tout imaginaire que ce soit d'ailleurs un imaginaire rivé à une parole politique ou un imaginaire rivé à une parole religieuse.


Si l'on parle de liberté individuelle des uns vis à vis des autres mais aussi de relativisation de cette liberté ou de la volonté de chacun par le respect de celle de l'autre, hé bien on ne peut pas ne pas ne pas lier l'entreprise individuelle au contrat social, on ne peut pas ne pas la lier à la
responsabilité, et le contrat de réciprocité fait de la propriété quelque chose de responsable des uns vis a vis des autres.
Cette responsabilité, elle est appelée dans notre idéologie française la volonté générale. Le respect de l'acceptation par chacun de ce qu'on appelle la volonté générale, c'est la responsabilité.


Bien entendu dès que l'on parle de cette structure - le contrat social -, on ne peut qu'inclure la totalité des citoyens, et la notion de contrat social se double de celle de la communauté, la communauté - non plus la communauté primitive avec son imaginaire - par exemple celui de la parenté, etc - , mais la communauté de tous les citoyens libres et égaux et la base de la communauté est alors le
partage que l'on nomme plus précisément la fraternité.


Je retrouve dans cette histoire deux termes clefs qui ont été employés tout à l'heure de façon réitérée par Magloire, les termes de responsabilité et de partage, la valeur de responsabilité d'une part et la structure de partage d'autre part. Alors me direz-vous, alors tout est bien dans le meilleur des mondes. Il suffit de généraliser la démocratie et puis le contrat social et pourquoi pas ne pas marcher sur la route tracée par l'Occident ?


Cette révolution , elle n'a duré que trois jours. D'ailleurs toutes les révolutions durent trois jours. Enfin trois jours un peu longs de 1789 à 1793. Parce que dès l'année 1794 on voit se développer un nouveau concept qui n'est plus le concept de propriété associé à celui de liberté et de contrat mais qui est le concept très différent de la
propriété Privée. Avec la propriété Privée se rompt la relation entre la liberté, le contrat et à plus forte raison le partage. Avec la Privatisation on va voir au contraire se développer le Privé par dessus l'Universel. C'est-à-dire que la chose possédée va dicter son statut au propriétaire et non plus l'inverse. Par exemple on dira que si vous venez travailler sur ma propriété, la relation que vous aurez avec le propriétaire ne va pas modifier le régime de sa propriété. La relation humaine du contrat entre l'un et l'autre ne déterminera pas le régime de la propriété sur la base du partage. La relation de réciprocité devrait normalement définir le régime de propriété c'est-à-dire que les deux contractants devraient être copropriétaires et maîtres d'une action commune avec des responsabilités différentes sans doute. Eh bien la notion de partage n'existe plus, et la notion de contrat elle-même est biaisée, ce qui demeure et qui impose sa loi c'est que le bien possédé par l'un va imposer la notion de privé au propriétaire et exclure l'autre qui sera seulement dédommagé de son travail par un salaire, par le fait "qu'on lui achètera (le moins cher possible !) , les semences et le labour " selon une expression de l'époque, bref avec une compensation pour ce qu'il apporte mais sans lui permettre d'exercer plus aucun droit de propriété ni sur les moyens de production ni même sur son travail ! Le travail d'autrui pourra être ainsi dépendant de la privatisation des moyens de production. La privatisation de la propriété a brisé la concordance établie par la révolution entre propriété, liberté et contrat social.


La révolution est donc morte. Ce qui l'emporte désormais, c'est l'Empire, l'empire de quoi ? L'empire du Droit Privé. Le Code Napoléon (1804)n'est que l'application de ce concept de propriété Privée qui vient casser les reins à la notion de propriété universelle. La propriété est désormais enchaînée.

Enchaînée à quoi ? A la non-réciprocité de la privatisation, et dès lors apparaît immédiatement une nouvelle sujétion et un nouveau pouvoir.

Sujétion à quoi ? au rapport de forces des choses entre elles, au rapport de forces des privatisations. Non plus une sujétion comme jadis à l'imaginaire des puissants mais une sujétion aux forces matérielles qui s'affrontent les unes les autres. Et cette sujétion c'est la sujétion au capital, à l'accumulation de la richesse.


Le peuple ne peut pas accepter sans résister de passer d'une sujétion à l'autre. Ce qu'il veut c'est la liberté. Donc on voit déjà se profiler d'une part une Résistance conservatrice mais aussi la Commune, puis Octobre 17. Cependant la théorie et les conditions objectives pour cette révolution sociale n'existent pas encore et tout se termine dans des bains de sang. On ne va pas parler de ça.


Ce que je voulais simplement montrer c'est que l'entreprise de réciprocité, l'entreprise responsable ce ne sont pas des concepts seulement de base qui appartiendraient à un passé historique enfoui dans l'imaginaire des sociétés archaïques. Elles ont leur histoire. Et par cette histoire, elles acquièrent aussi des formes extrêmement modernes.


Bien sûr, il s'est développé à partir du XIX e siècle les diverses formes d'entreprise dont nous a parlé tout à l'heure Magloire et je ne reviens pas là-dessus. Je voudrais simplement maintenant indiquer qu'à mon avis l'entreprise privée, l'entreprise standard, l'entreprise qui n'a pour but que le profit est un concept périmé sur le plan théorique. Et Magloire en a donné les raisons. Je ne reviens pas sur celles-ci. A partir justement de l'épreuve et de la résistance populaire c'est-à-dire des luttes sociales et de la revendication syndicale avec la protestation des exclus, l'entreprise standard qu'elle soit multinationale ou qu'elle soit petite ou moyenne entreprise familiale est obligée de se transformer.

Magloire, il me semble, montrait par quelles brèches la réciprocité re-pénètre à l'intérieur de toutes les entreprises. Elle re-pénètre comme à partir de l'utilité positive sous la forme d'une responsabilité croissante, interne, des cadres eux-mêmes et des salariés de l'entreprise mais qui doivent aussi tenir compte de plus en plus de leur existence sociale dans un milieu hôte, un milieu externe à l'entreprise de telle sorte que l'entreprise est obligée de s'intéresser à son contexte, et si l'on voit certaines entreprises en particulier les multinationales continuer à spéculer sur les délocalisations, mues simplement par la seule directive du profit on voit aussi d'autres entreprises qui s'aperçoivent que cette perspective est à court terme et qu'elles devront un jour s'inquiéter de leur personnel et de l'existence de ce personnel dans un milieu donné.

A ce moment-là se présentent les difficultés qu'a soulignées Magloire : d'une part les entreprises tendent à conformer au milieu artificiel qu'elles créent les consommateurs, d'autre part elles s'instaurent dans des sociétés qui leur font remarquer qu'elles disposent de structures antiques mais qui sont des structures de production de certaines valeurs qu'elles ne veulent pas perdre. Donc il y a un petit problème d'ajustement entre l'imaginaire concernant ces valeurs et ces mêmes valeurs ou d'autres à partir de la situation créée par l'industrie et du milieu artificiel dans lequel se trouvent intégrés un certain nombre de membres de l'entreprise. Mais c'est un problème qui malgré tout n'est pas décisif ni majeur.

Ce qui est plus décisif c'est que l'entreprise aujourd'hui ne peut plus se développer sans prendre en considération les conditions d'existence de la société entière : de l'humanité. Pourquoi ? Eh bien parce que par la technique est devenue si puissante comme nous le rappelait Magloire tout à l'heure en parlant de la toute puissance des entreprises de type capitaliste transnationales, que ces entreprises rencontrent chaque jour davantage des limites qui ne leurs sont pas imposées par les hommes mais qui leur sont imposées par la nature donc, selon leurs propres critères, des limites objectives. La mondialisation les oblige à se rendre compte de ce que la concurrence effrénée de leur pouvoir met en danger non seulement l'existence de certaines sociétés mais l'existence de la planète tout entière.
Il en résulte une réflexion de ces entreprises sur cet obstacle et l'obligation pour elles de se penser dans le durable, ce que l'on appelle le développement durable qui ne concerne pour le moment que les entreprises de type capitaliste ayant atteint une telle puissance qu'elles peuvent remettre en cause l'existence de la société tout entière. Le développement durable les oblige à se repenser sur l'idée de fiablilisation. Fiabiliser la société de consommateurs qu'elle crée c'est aussi fiabiliser l'entreprise pour la société et c'est la rendre crédible au niveau de la responsabilité sur la planète. C'est une nouvelle entrée pour la notion de responsabilité et à la suite de la notion de responsabilité peut-être pour la réciprocité sous la forme que nommait Magloire : le partage.


J'ai quelques mots à ajouter c'est que lorsque Magloire nous a fait le panorama des entreprises actuelles il a parlé d'entreprises coopératives, publiques, individuelles et familiales et de l'entreprise anonyme dont les multinationales.
Il y a une entreprise qui me paraît possible aussi et que j'appellerai l
'entreprise communautaire. Pourquoi ? parce que en Afrique on voit actuellement des autorités de village ou de quartiers qui s'intéressent à la question de savoir comment elles pourraient promouvoir des activités non seulement agricoles mais des activités artisanales et des activités commerciales voire bancaires qui ne seraient pas privées ni publiques, ni collectives sur le modèle des coopératives qui ne regroupent que des producteurs d'un type donné, ni privées c'est-à-dire individualisées mais qui n'appartiennent qu'à un seul chef de canton ou fils de chef de canton ou encore à un dignitaire du pouvoir qui s'attribue des terroirs à titre personnel ou familial mais sans responsabilité communautaire. De telles autorités mobilisent alors en ce qui est une véritable entreprise la complémentarité des services de la communauté. On retrouve sous un autre titre la notion d'utilité positive.

Peut-être que ce type d'entreprise n'a pas une forte influence et n'a pas de poids dans l'économie politique actuelle car elle n'a pas pour but de dégager des profits pour une personne privée et qu'elle ne participe pas de l'économie capitaliste. Elle est même foncièrement anti-capitaliste. Elle ne compte peut être même pas dans l'économie nationale car dans l'apparence elle ne dégage pas de surplus qui puissent se convertir en impôts, quoique les prestations des services communautaires puissentt être considérées comme des équivalents, mais elle a un intérêt, à mon avis, c'est qu'elle peut exercer un contrôle sur justement la responsabilité des entreprises individuelles qui naissent à l'extérieur de la communauté et qui n'ont pas de statut bien défini, et sur les entreprises publiques, car les entreprises publiques manquent justement d'un contrôle populaire qui permettrait d'éviter ce que l'on appelle la corruption, et les entreprises individuelles se posent la question de savoir quel peut être leur rôle dans la société dans laquelle elles sont insérées. Or, elles doivent respecter un certain nombre de valeurs à moins de se convertir en entreprises privées capitaliste de type standard, et les témoins ou encore les structures de production de ces valeurs ce sont quand même les communautés. Que ces entreprises communautaires n'aient pas de poids sur le plan de la comptabilité économique capitaliste, j'en conviens, mais je pense qu'elles peuvent avoir un rôle régulateur qui peut être important en Afrique et qu'elles ont un sens non moins important sur le plan théorique.


Pour conclure, je dirais que si l'Europe a connu un développement lent et systématique, puisqu'il a fallu pour cela une dizaine de siècles, par contre ce que nous observons en Afrique c'est un raccourci d'une telle violence que toute les structures dites archaïques et les plus modernes se côtoient et s'affrontent d'une façon kaléidoscopique. Il est très difficile de pouvoir maîtriser leurs relations parce qu'elles peuvent du jour au lendemain se renverser les unes les autres ou avoir des effets négatifs ou positifs de façon aléatoire ou paradoxale, et à moins d'utiliser le concept de forme sociale que développe Abdourahmane Seck, je ne sais pas comment on peu saisir les choses dans une région donnée. Je pense que Abdourahmane doit nous donner un jour une interprétation théorique de ce concept de forme sociale.

La forme sociale ne pourra cependant se comprendre que par des analyses qui intègreront les données historiques parce que sinon on arrive à des simplifications, utiles du point de vue de l'actualité des luttes sociales mais qui rejettent dans l'ombre des quantités de questions jugées sur le moment secondaires. Si on oppose par exemple d'un point de vue systémique le système de réciprocité comme système producteur des valeurs éthiques et le système de l'échange comme système de destruction de ces mêmes valeurs on ne comprend pas du tout pourquoi les peuples choisissent le système de l'échange et l'entreprise privée.
Si on comprend au contraire par le détour d'une analyse historique, comme celle que j'ai tenté d'esquisser, que les structures productrices de la valeur ont été submergées par la non-réciprocité du pouvoir et que le développement de l'échange a été d'abord un recours pour re-conquérir une base objective pour la réciprocité, objective signifiant désaliénée de tout imaginaire, alors on légitime toute la révolution et même l'échange du moment qu'il est arrimé au contrat social et on s'aperçoit que la société demeure néanmoins prise en défaut par une autre sujétion, car le pouvoir se donne aussitôt une arme nouvelle : les lois et la logique qui régissent la force pour imposer la non-réciprocité à la réciprocité, la sujétion à la liberté.

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