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L' ENTREPRISE DE RECIPROCITE

I

 

Eléments de réflexion sur l'entreprise en Afrique.
" la réciprocité et la responsabilité "

par

Magloire BAZABANA

 

   
         
 

sommaire

Introduction

1. La problématique de la nature de la firme ; dépassements et ruptures

1.1. La réciprocité dans le fonctionnement des entreprises

1. 2 L'entrepreneur, l'entreprise et le milieu

2. Les perspectives de développement de l'entreprise en Afrique

2.1. Analyse du système économique et social

2.2. La réciprocité dans le système économique africain

2.3. Quel type d'entreprise faut-il promouvoir ?

Conclusion

Contribution : Réflexion sur l'antinomie de la réciprocité et la non réciprocité au cours de l'histoire en rapport avec l'entreprise (Dominique TEMPLE)

   
       
    Introduction    
   

 

La micro-économie standard, que ce soit dans les modèles d'équilibre général, les analyses de marchés ou dans une grande partie de l'économie industrielle, demeure dominée par une même représentation simplifiée de la firme. Situation en définitive paradoxale, qu'illustre bien la difficulté pour ces modèles de prendre en compte le personnage central de l'entrepreneur.

La théorie standard présente l'entreprise comme un agent sans épaisseur ni dimension, une firme point et comme un agent passif, une firme automate. L'agent a un comportement parfaitement rationnel qui s'exprime dans sa fonction objectif, la maximisation du profit sous les contraintes de ses capacités technologiques. Objectifs et contraintes sont des données c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'analyse de l'intérieur de l'entreprise, qu'il s'agisse des différents individus et groupes qui la composent ou des conditions concrètes d'organisation de la production.

La théorie standard de l'entreprise a beaucoup apporté à l'analyse des marchés et du comportement des entreprises, mais on ne peut pas ignorer ses limites pour une compréhension véritable de la firme. Comment justifier l'hypothèse de maximisation du profit ? Peut-on traiter une entité collective comme un agent individuel ?

Il subsiste dans la théorie économique un paradoxe entre d'une part, l'absence d'une quelconque prise en compte, même implicite, de la fonction entrepreneuriale dans les représentations formelles du comportement de la firme (entreprise) et d'autre part, le rôle décisif universellement reconnu à l'entrepreneur dans le processus historique de développement économique.

Les développements dans la première partie consistent à montrer qu'on s'approche du point de vue théorique d'une représentation plus réaliste de l'entreprise en reconnaissant à celle-ci une marge d'action plus large : l'ancrage de l'entreprise dans la société et la capacité d'y impulser le changement.
La deuxième partie est consacrée aux mutations qualitatives et quantitatives en cours sur le développement de l'entreprise en Afrique. Il semble notamment qu'on assiste à un recentrage sur l'entrepreneur, à l'émergence d'autres formes d'entreprises et le recours au progrès technique.

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    1 La problématique de la nature de la firme ; dépassements et ruptures    
   

 

La remise en cause de l'hypothèse de la maximisation du profit

Pour tenter de donner un réalisme à une représentation qui n'en possédait aucun, une première ligne de réflexion a consisté à faire des hypothèses différentes sur les objectifs de la firme et donc de l'entrepreneur. Baumol (1959) formule l'hypothèse que, dans de nombreuses situations, l'objectif de la firme est avant tout de maximiser non le profit mais les ventes globales de l'entreprise. Cet objectif sera privilégié par les dirigeants s'ils considèrent que leurs propres revenus, ou leur prestige, sont davantage dépendants du montant des ventes que du profit réalisé.

Plus exactement, l'hypothèse de Baumol est que, un niveau de profit étant posé et considéré comme suffisant pour assurer le niveau de rémunération minimum, l'objectif pratique de la firme sera de maximiser ses ventes, ce qui correspond aussi à l'objectif de maintenir et d'accroître ses parts de marché. Au-delà de l'intérêt immédiat des managers à choisir un tel objectif, la nécessité de maximiser les ventes se présente souvent comme une condition de simple survie pour les firmes, tout simplement lorsqu'elles se trouvent situées dans des marchés fortement concurrentiels et donc soumises à des politiques agressives (baisse des prix, innovations rapides de produits) des firmes concurrentes.

A partir des travaux de Baumol il s'est ouvert une brèche : la maximisation du profit n'est plus l'hypothèse unique et obligée. Des voies nouvelles sont parcourues et de nombreuses hypothèses différentes sont faites pour rendre compte de la diversité des contraintes qui pèsent sur les entreprises et l'expression de leur rationalité.

La représentation de la firme subit une mutation essentielle. La firme est alors pensée comme une organisation complexe composée de groupes différents dont les objectifs ne sont pas identiques.

Les hypothèses formulées consistent alors à substituer à l'objectif de maximisation du profit, non un objectif unique mais un ensemble hiérarchisé d'objectifs. C'est ainsi qu'un groupe d'économistes, autour de Radner (1964) ou de A. Alchian et R. Kessel (1962) notamment, soutiendront l'idée que l'objectif de la firme sera de rechercher la satisfaction des membres et des groupes qui la composent. La firme poursuit des objectifs pécuniaires (profit, cash flow) et non pécuniaires (carrières et statut des salariés, pouvoir et prestige des dirigeants). La représentation d'ensemble de la firme et de ses objectifs a beaucoup gagné en réalisme.

Les organisations sous l'hypothèse de la rationalité limitée

H. Simon (1979) est un des auteurs majeurs des renouvellements récents de la théorie de la firme. Prenant appui sur la psychologie cognitive et l'observation des processus de prise de décision, en particulier à l'intérieur des organisations, il propose une révision radicale de l'analyse des comportements économiques.

La critique du modèle classique de la rationalité (la maximisation d'un objectif, le profit pour les firmes, sous les contraintes de l'environnement), à laquelle procède H. Simon se situe à plusieurs niveaux. Tout d'abord, il se fait le défenseur d'une théorie de la firme, visant à rendre compte le comportement réel des agents.

Simon propose un ensemble de principes à partir desquels peut être construite une théorie descriptive de la prise de décision ou des modèles de comportements spécifiques. Ceux-ci sont définis d'abord en opposition à la conception classique : concevoir une rationalité procédurale plutôt que substantive, substituer un principe de satisfaction au principe de maximisation.

Pour notre objet, il faut retenir que le principe de satisfaction est le point de l'analyse simonienne qui a le plus retenu l'attention pour l'analyse de la firme. Il pose qu'un agent recherche non pas l'action qui donne le meilleur résultat dans des conditions données, mais une action qui conduit à un résultat jugé satisfaisant, relativement à un certain niveau d'aspiration (obtenir un profit raisonnable). Il y a deux types de raisons qui justifient le principe de satisfaction. La première est de nature purement cognitive et relève des caractères de l'individu : les limites des informations dont il dispose et de ses capacités de calcul rendent impossible dans la plupart des situations réelles complexes la mise en oeuvre d'une procédure de maximisation. La seconde est relative aux caractères des organisations : la recherche d'un résultat satisfaisant est la seule procédure qui permette de trouver un compromis entre les membres de l'organisation et d'aboutir à un consensus. Dans ces conditions, le processus de décision, qu'il s'agisse de la décision de l'individu ou de celle de l'organisation repose sur un double mécanisme (Mongin, 1984) : l'exploration d'un nombre limité d'alternatives, par un processus séquentiel qui s'arrête une fois obtenu le niveau de satisfaction souhaité ; la révision du niveau d'aspiration en fonction de la difficulté plus ou moins grande de son obtention, et plus largement en fonction de l'expérience accumulée par le sujet. Le principe de satisfaction met en oeuvre un principe de recherche c'est-à-dire l'idée que les alternatives ouvertes à un agent ne sont pas données, mais doivent faire l'objet d'une exploration.

La théorie de la rationalité limitée peut certes s'appliquer à la firme comme agent collectif, mais elle peut également fonder une analyse des comportements inter-individuels et les buts de l'organisation. Cela oriente l'analyse dans une tout autre direction : l'abandon de la firme-point pour une conception "organisation". La théorie de la rationalité limitée peut fonder une approche de la nature de la firme et des ses formes organisationnelles sensiblement différente de la théorie standard.

La prise en compte de la multilatéralité et de l'interaction

La formalisation du comportement des acteurs s'est orientée vers la mise en évidence d'une idée centrale, celle de l'interaction stratégique. Ce qui exprime le fait que l'entreprise est dépendante pour sa décision à prendre (à partir d'un ensemble de stratégie possibles) des actions possibles des autres acteurs avec les lesquels elle joue (son ou ses concurrents sur un marché, par exemple).

La décision ne peut donc être purement individuelle et rationnelle, car elle est au moins influencée par l'existence ou les actes d'un ou plusieurs autres acteurs. Pour le dire simplement l'action individuelle a une influence sur les autres acteurs et chacun doit tenir compte du comportement d'autrui pour agir.

En univers incertain, le problème se complique par d'éventuels biais informationnels ou des problèmes d'interprétation du contexte de jeu par les acteurs. Toutefois ces aspects ne sont effectivement pris en compte qu'avec la remise en cause de l'hypothèse traditionnelle de la rationalité grâce aux travaux de Simon sur la rationalité limitée.

La spécificité des actifs dans la théorie de la firme

La base commune à toute approche de la spécificité est la mise en évidence de son aspect non-fongible ou irremplaçable, autrement dit non-transférable.

Le triplet (fréquence de la relation, spécificité, incertitude), sont des éléments intéressants abondamment repris désormais dans la théorie de la firme.
Il s'agit par conséquent de concevoir les entreprises comme des
acteurs liés, c'est-à-dire des acteurs potentiellement mobiles mais qui, pour leur activité économique, doivent collaborer.

La justification de l'acteur lié : quelle que soit l'entité économique considérée, aucune n'est autosuffisante (en particulier en termes de connaissances) mais par ailleurs chaque entité individuelle du fait de sa spécificité peut être sollicitée. Cette double situation de non-autarcie et de spécificité individuelle est à l'origine de la coordination. Si l'entité de base que nous pouvons appréhender est l'entreprise, le phénomène de coopération entre les entreprises ne fait que révéler à un niveau supérieur (à celui de l'individu) l'existence d'une dépendance réciproque et d'une complémentarité. La collaboration permet à chacun de bénéficier de la spécificité de l'autre. Derrière cette spécificité individuelle se profile la nécessité pour l'individu de valoriser son savoir faire en s'associant volontairement à d'autres. D'où la nécessité des relations et particulièrement des relations de réciprocité.

La contribution de H. Simon et de Williamson est fondamentale dans la construction d'une théorie de la firme pertinente proche du réel. Elle pose aussi les bases de la théorie de la réciprocité dans la théorie de la firme. Elle s'inscrit dans la tendance des nouvelles théories de la firme qui se focalise sur le rôle de la spécificité, de la multilatéralité et de l'interaction.

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    1.1. La réciprocité dans le fonctionnement des entreprises.    
   

 

La place de l'entrepreneur dans le fonctionnement de l'entreprise

L'importance de l'entrepreneur renvoie à la fonction qu'il assume. On peut, pour l'essentiel, en identifier trois, qui se recoupent partiellement :

1) une fonction d'innovation ou de création, selon l'analyse devenue classique de Schumpeter. Elle implique que la firme compétitive ne s'adapte pas à son environnement mais vise au contraire à le transformer : à créer de nouvelles combinaisons productives, de nouveaux marchés, de nouvelles formes d'organisations ;
2) une fonction d'acquisition et d'exploitation de l'information, mise en avant par l'école autrichienne, Hayek (1937) puis Kirzner (1973). Ce point de vue rejoint celui de Knight pour qui l'entrepreneur est celui qui doit prendre les décisions dans un contexte d'une incertitude non probabilisable, donc des décisions qui ne peuvent relever de méthodes routinières de calcul économique ;
3) une fonction d'organisation et de coordination de la production. Alors que la conceptualisation de la firme néoclassique suppose l'existence d'une fonction de production et de facteurs de production parfaitement définis et connus, il apparaît que le fonctionnement de la firme suppose la réunion de facteurs en partie mal définis et non offerts par le marché, et la capacité à combiner ces facteurs de manière efficiente.

Ainsi, l'entrepreneur ne peut être véritablement compris et analysé qu'en dépassant les hypothèses de base du modèle néoclassique : passage d'un cadre d'équilibre statique à une vision évolutionniste ; prise en compte des questions touchant à l'incertitude et à l'information et pour cela une remise en cause des représentations du comportement rationnel ; prise en compte de la complexité de la structure interne de la firme. C'est dans cette direction que sont développées les analyses qui visent, à partir de préoccupations diverses, à rendre compte de la réalité de l'entreprise.

1. 2. L'entrepreneur, l'entreprise et le milieu

Pouvoir publics, responsables économiques et organismes de développement, chercheurs, se penchent sur le rôle des entreprises (toutes les formes confondues) dans l'amélioration du bien être économique et social des individus. En effet, ce sont elles qui, dans la dernière décennie, se sont seules révélées capables de créer des emplois. D'où l'attention particulière dont elles bénéficient de plus en plus. Cette particularité a au moins un avantage : le reconnaissance de l'entreprise en tant qu'organisation spécifique dans la société.

Cette reconnaissance conduit à poser un double postulat dans l'approche de l'entreprise ou de la firme: L'entreprise doit être considérée comme une organisation spécifique. Elle doit être considérée dans son environnement c'est-à-dire dans son milieu.

A partir de ces postulats on va chercher à étudier les interactions entre les entreprises et leur milieu. Cette approche suppose deux questions :

1/ L'environnement de l'entreprise ou le milieu peut-il enclencher par la réciprocité un processus dynamique du système productif ?

2/ La réciprocité comme système de relations spécifiques peut-elle dynamiser un tissu d'entreprise ?

Relations de réciprocité et organisation du système productif.

Les relations de réciprocité apparaissent comme un mode d'organisation qui s'inscrit d'un point de vue théorique dans le dépassement de la dualité firme/marché (Lecoq, 1991). Il s'agit bien d'une forme d'organisation spécifique. Les relations de réciprocité sont susceptibles de pallier les défaillances du marché et de l'entreprise.

Les relations de réciprocité et la stratégie de l'entreprise.

Les relations de réciprocité représentent une réponse des acteurs à la complexité des processus productifs, dans un environnement technologique et géographique élargi. La réciprocité apparaît comme producteur de synergies, mais aussi comme réducteur de coûts : coût d'incertitude, coûts d'appropriation, coûts de transactions.

La réciprocité comme outil stratégique de l'entreprise s'organise selon deux logiques :
Une logique de valorisation, qui cherche à développer une activité résiliaire pour réduire les coûts et faire jouer des effets de synergie.
Une logique d'intention, qui utilise la dynamique relationnelle pour produire des synergies dans le but, par exemple, d'innover à partir d'un capital relationnel commun aux autres.

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    2. Les perspectives de développement de l'entreprise en Afrique    
   

 

Le débat théorique contemporain sur la nature de l'entreprise et la rationalité individuelle ouvre des pistes de réflexion sur la question l'entreprise en Afrique. Parce qu'une entreprise en tant qu'acteur social a un rôle à jouer et des responsabilités dans la société. En fait au-delà de l'économique, la société attend de l'entreprise un comportement responsable.

Mais ces dernières années, il ressort de plus en plus dans les politiques publiques et revendications des ONGs et de la société civile, la référence à la responsabilité et au partage pour le développement des entreprises. Les dirigeants des entreprises multinationales qui se sont réunies récemment à Davos (févier 2005) ont commencé à adhérer à ces objectifs.

Le chemin que les entreprises responsables peuvent suivre peut être résumé par les 3P : les personnes (équité sociale), la planète (environnement) et les profits (économies). Le rôle d'une entreprise responsable est de trouver le meilleur équilibre entre ces éléments.

Mais la promotion de l'entreprise responsable ne peut se faire sans une analyse préalable du système économique et social.

2.1. Analyse du système économique et social

Les systèmes économiques sont choisis en fonction de leurs performances, particulièrement leurs capacités à assurer la survie et le bien être des populations. Un système économique sera préféré à un autre si les transferts qu'il permet sont relativement préférés. Les principaux systèmes économiques contemporains sont : l'économie de marché basée sur l'échange et le prix ; l 'économie planifiée centralisée ; enfin l'économie de réciprocité basée sur l'échange de dons.

Les systèmes économiques réels sont hétérogènes avec coexistence de différents types de modes, bien que généralement l'un d'entre eux soit dominant ou qu'il soit pour le moins considéré comme le type normal, les autres étant perçus comme des exceptions même quand ils sont assez répandus. Les systèmes économiques se distinguent en fonction de la liberté, des relations que les individus entretiennent avec les autres et avec les groupes sociaux, et de par la nature des hommes qui le composent (les systèmes façonnent les hommes autant que les hommes façonnent les systèmes). Tout cela affecte les utilités, le bonheur, les valeurs, les goûts, les perspectives et la manière de voir le monde.

La particularité du système économique africain est sa mixité. On y observe la coexistence des trois systèmes économiques : l'échange marchand, la planification centralisée et la réciprocité. Le marché et la planification sont abondamment étudiés au détriment du système économique basé sur le don et la réciprocité.

En Afrique, l'analyse économique de la réciprocité est fondamentale. Elle permet de comprendre de nombreuses questions économiques telles que : l'économie de la famille, le développement, l'entreprise, la coopérative et la coopération.

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    2.2. La réciprocité dans le système économique africain    
   

 

L'expérience réciprocitaire en Afrique est basée sur la relation de don/contre don, par laquelle quelqu'un reçoit un don et donne ensuite quelque chose en retour, sans aucune obligation, sauf éventuellement une obligation morale, et avec pour résultat un sentiment global de bonne entente. La réciprocité est manifestement un phénomène économique et social très important et répandu en Afrique. Au côté de l'échange marchand par le prix, c'est l'un des systèmes économiques à l'oeuvre au sein des sociétés africaines. Il est fréquent dans toutes les organisations. Les économies fonctionnent en partie sur la base de relations de réciprocité. Les entreprises reposent généralement sur un fonctionnement plus ou moins familial, également fondé sur la réciprocité. Le processus de développement au sein de économies africaines se résument le plus souvent à la transformation de systèmes de réciprocité en des systèmes d'échanges marchands par le prix ou de planification centralisée. L'analyse de la réciprocité est alors nécessaire à la fois pour la description, l'explication et la compréhension des possibilités.

Les dons et les réciprocités diffèrent nettement des autres modes bien que, il en existe une grande variété, et même un continuum de cas intermédiaires avec l'échange. La différence principale est que, la plupart du temps, les dons et les réciprocités expriment et supportent des sentiments et attitudes d'altruisme positifs et universellement appréciés, la sympathie, l'aide, la solidarité, la communauté, le désintéressement, l'amitié, l'affection ou amour, la fraternité, etc. A l'opposé il y a des cas de dons négatifs faits dans le but d'obtenir un contre don, de manifester une supériorité, une soumission, ou de don imposé par des normes sociales provenant de la culpabilité ou de la pression sociale ou de dons ostentatoires motivés par la construction égoïste de son image, etc. Cependant ce qui compte est l'existence d'autres types de dons et de réciprocités, avec au moins un minimum d'intérêt pour les autres.

La base de la réciprocité est l'altruisme opposé à l'égoïsme. On considère comme altruiste un individu dont le bonheur ou la satisfaction sont liés positivement au bonheur ou à la satisfaction d'autrui. L'altruisme est défini en économie comme la prise en compte positive de l'utilité de l'autre dans le temps. Il s'agit d'une internalisation positive du bien être des autres dans la fonction d'utilité de quelqu'un. En d'autres termes un individu qui supporte volontairement de réduire sa consommation en vue d'accroître celle de l'autre.

L'économie de réciprocité est nécessaire pour le processus de développement des entreprises responsables en Afrique. Elle a une base matricielle pouvant permettre à une entreprise de se rapprocher de la responsabilité et du partage.

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 2.3. Quel type d'entreprise faut-il promouvoir ?

L'entreprise individuelle et familiale

Une série d'études menées en Afrique de l'Ouest et du Centre ont montré une forte prédominance des entreprises individuelles et familiales dans l'activité économique. Elles représentent au mois 70% de la population d'entreprises. L'entreprise sociétaire y est moins développée.

Du point de vue de la responsabilité et du partage :

La particularité de l'entreprise individuelle et familiale en Afrique, est son ancrage dans le milieu économique et social. L'entrepreneur assume vis-à-vis de sa communauté un ensemble de droits et d'obligations.
L'entrepreneur cherche à maximiser une fonction du bien être compte tenu des différentes contraintes que lui imposent sa communauté, d'une part et la société d'autre part. Au sein de sa communauté il est pratiquement obligé d'accepter les règles d'un jeu d'échanges réciproques et son comportement est motivé par la protection que lui offre la communauté contre les aléas. Il est altruiste dans un sens stratégique puisqu'il attend toujours quelque chose en échange de ce qu'il donne. Il se lie aux autres individus par des relations de réciprocité comme dans la relation de don/ contre don, qui implique trois obligations : donner, recevoir, rendre. L'entrepreneur a intérêt à se comporter de façon solidaire et à accepter certaines règles qui régissent l'échange d'obligations contre droits. Chacun se préoccupe de la situation de l'autre, jouant alternativement le rôle du donneur et du bénéficiaire. Si l'entrepreneur refuse le jeu de la solidarité, il est exclu de la communauté sachant qu'il devra supporter le coût de l'exclusion. Si le coût d'exclusion est supérieur aux coûts d'appartenance à la communauté l'individu fera le choix de l'appartenance. Il en est de même pour l'hypothèse inverse. Ce qui revient à dire que le coût de la triche est particulièrement élevé par rapport à son gain, et le contrôle communautaire dissuasif.

Ces dispositions montrent comment l'entreprise individuelle et familiale est difficilement délocalisable. La référence aux ressources spécifiques permet à l'entrepreneur de s'engager dans un processus de localisation stable. Les ressources spécifiques ne sont pas transférables d'un processus de production à un autre. Tandis que les ressources génériques sont transférables d'un processus de production à un autre en fonction de critères quantitatifs exprimant leur degré de rareté. Lorsque les ressources humaines sont des ressources spécifiques, cela est dû aux compétences qu'elles ont acquises, à l'apprentissage qu'elles ont développé en construisant et en utilisant des capacités productives dans le processus de production.

La responsabilité et le partage dans l'entreprise familiale concernent aussi la propriété. L'entrepreneur est propriétaire donc responsable. Il a un droit de propriété avec deux attributs essentiels : l'inclusivité et la transférabilité.

Mais la difficulté pour l'entreprise individuelle et familiale repose d'une part sur l'utilisation déviée des valeurs socioculturelles et d'autre part sur l'intégration de nouveaux procédés dans le processus de production.

La référence systématique aux valeurs socioculturelles qui encadrent l'économie de la réciprocité peut conduire les entreprises dans un processus de déséconomie. Dans un contexte de privation des libertés et des droits, les entrepreneurs peuvent opter pour un comportement de repli sur soi. Un comportement qui peut développer des discriminations comme la tribalisation et la castisation des entreprises. L'entreprise cloisonnée est loin de s'approcher de la responsabilité.
Ainsi, le processus de responsabilisation des entreprises est étroitement lié à la liberté d'entreprise et au libre accès aux ressources.

Concernant l'intégration des nouveaux procédés, les difficultés peuvent être formulées de la façon suivante :
1 / Lorsque les nouveaux procédés nécessitent moins d'investissements et que le nombre de tâches est faible, l'entreprise individuelle familiale est plus probable.
2/ Lorsque les nouveaux procédés nécessitent plus d'investissements et que le nombre de tâches augmente, l'entreprise individuelle familiale est moins probable.
3/ Lorsque les gains liés aux nouveaux procédés sont importants, il est plus probable que l'entrepreneur opte pour le partenariat ou pour la société anonyme.

L'entreprise anonyme

Les faits montrent qu'en Afrique, l'entreprise individuelle et familiale a conservé sa position dominante par rapport à l'entreprise sociétaire. D'une manière générale la forme sociétaire en Afrique est contrastée. Quantitativement, elle est moins importante dans l'ensemble de l'économie et souvent limitée aux activités des firmes multinationales délocalisées. Dans ce type d'entreprise, les propriétaires se partagent les revenus ainsi que le coût du capital et le coût de la main d'oeuvre. Des cadres supervisent des ouvriers rémunérés par un salaire fixe.

La forme sociétaire a un double avantage : d'une part, elle autorise des niveaux de spécialisation élevés si les coûts de surveillance sont faibles ; d'autre part, elle supporte les coûts en capital les plus faibles. Mais cette forme organisationnelle a un coût lié au fait que les ouvriers doivent être surveillés. L'augmentation des coûts de surveillance a pour conséquence de réduire la valeur de la société.

La puissance de l'entreprise anonyme dans sa forme multinationale n'est plus à démontrer. La conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced) comptabilisait ainsi, au début de l'an 2000, 63.000 firmes multinationales contrôlant 690.000 filiales à travers le monde. C'est dix fois plus qu'à la fin des années 1960, quand il n'y avait que 7.000 firmes multinationales dans le monde. En 1995, 44.500 avaient été recensées, avec leurs 277.000 filiales (ce qui correspond à une croissance de 7% par an, et de 20% par an pour le nombre de filiales soit une multiplication par deux et demi en cinq ans du fait de l'accélération des fusions et acquisitions).

L'entreprise multinationale a une forte capacité de reproduire et d'augmenter le capital. Elle peut choisir à l'échelle mondiale, au mieux de ses intérêts, la localisation de ses divers établissements et lieux de production, mais aussi les zones d'approvisionnements, de financements, de circuits de commercialisation et de recrutement.

Si ce modèle d'entreprise se généralise, c'est parce qu'il présente de nombreux avantages. Il permet d'augmenter le rendement des différentes opérations de production et de commercialisation à l'échelle nationale et mondiale en tirant parti des différences de prix, de niveaux de salaire, de taxation entre le pays. Il se donne les moyens (sou-traitance, licences de distribution, alliances avec d'autres firmes) de gagner partout les parts de marché, d'expérimenter telle innovation dans tels pays, de localiser tel type d'opération dans tel autre.

 

Du point de vue de la responsabilité et du partage :

Avec les entreprises multinationales, la production n'a jamais autant augmenté. Jamais autant de richesses n'ont été créées et jamais autant de revenus n'ont été distribués dans le monde. Et selon les critères de développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), un nombre croissant d'hommes voit leur situation s'améliorer même si la pauvreté dans le monde ne diminue pas au même rythme et que les inégalités s'accentuent.

Il convient de s'interroger sur la responsabilité de la société anonyme qui est la forme d'entreprise dominante du point de vue de la valeur financière.

Face à ce problème, deux attitudes sont possibles : soit reconnaître que la société anonyme, en séparant propriété et gestion c'est-à-dire droit au revenu résiduel et droit au contrôle résiduel, affaiblit les droits de propriété, ce qui conformément à ce que l'on vient de voir, devrait impliquer une perte d'efficience donc une perte au niveau de la responsabilité. Soit soutenir au contraire que l'organisation de la société par action, ne remet pas en cause les principes de la propriété et que si elle s'est imposée, c'est parce qu'elle s'est révélée, face à de nouvelles contraintes technologiques, la forme la plus efficiente. Ce deuxième point de vue s'est largement imposé. La société anonyme est bien une forme d'organisation efficiente, et plus précisément, la plus efficiente pour exploiter les gains potentiels de la spécialisation à grande échelle et de la surveillance des équipes de grandes tailles.

Mais la partitionnabilité et la séparabilité des doits de propriété dans l'entreprise anonyme pose également le problème de la responsabilité. Le relâchement des droits de propriété peut dans certains cas conduire à l'irresponsabilité.

Evidement, comme le souligne Dominique Temple (2005) la libération de l'entreprise du système de réciprocité peut parfois entraîner des désordres du fait de que les entreprises ont la possibilité de prendre des risques c'est-à-dire le développement de l'esprit " kamikaze ". Ces dernières années par exemple un certain nombre de firmes multinationales ont causé des dommages et préjudices dans les pays où elles se sont implantées au niveau des populations et de l'environnement. Certaines d'entre elles sont même impliquées dans les conflits politiques.
Le relâchement et la partitionnabilité des droits de propriété est en partie la cause de ce type de comportement.

L'entreprise publique

C'est une société dont le capital ou la majorité du capital appartient à l'Etat. Actuellement il est possible de regarder comme entreprise publique toutes les activités de production de biens et services dont la collectivité domine la gestion et court les risques. Les entreprises publiques sont l'une des formes de l'intervention de l'Etat dans la vie économique. L'histoire nous offre d'ailleurs maints exemples de cette sollicitude du pouvoir politique, dont l'Etat est l'armature juridique, pour les faits de production et d'échange qui satisfont aux besoins matériels des hommes. Les entreprises publiques sont des outils de justice sociale de l'Etat.

Du point vue du partage et de la responsabilité :

En Afrique cette forme d'entreprise a connu beaucoup de difficultés. La plupart des entreprises publiques n'ont pas pu assumer leurs missions de redistribution des revenus et de production des biens publics. L'irresponsabilité et le chaos des entreprises publiques en Afrique justifient la multiplication des opérations de privatisations ces dernières années (cession aux acteurs privés).

L'inefficacité de ce type d'entreprise en Afrique peut être attribuée à deux facteurs. Le premier est la non-transférabilté des droits de propriété qui limite la marge de choix de l'acteur public. Cela est vrai dans le cas d'une entreprise publique qui n'a pas le droit de céder librement ses actifs (ou une partie d'entre eux) et dont le domaine d'activité est défini a priori. Le second facteur qui est le plus important, est la situation du gestionnaire de la firme publique qui, n'étant pas bénéficiaire du rendement résiduel, n'est plus soumis au système incitatif qui assure l'efficacité de la société anonyme. La question qui se pose est donc de savoir comment pourrait être assurée la surveillance du gestionnaire public, ce qui renvoie à des questions touchant au fonctionnement du système politique.

Le premier enseignement qu'on peut tirer de cette situation c'est que l'intervention de l'Etat prend toujours la forme du Pouvoir. Or, c'est toute une civilisation avec son histoire, sa religion, ses idées et ses techniques qui donne à celui-ci son cadre et sa signification. La promotion de l'entreprise publique dans le contexte africain actuel paraît comme une expérimentation hasardeuse.

Comment parler d'entreprise publique en Afrique, quand l'idée même de l'Etat n'a pas encore reçu son sens véritable. Il ne faut donc pas se fier à de simple transposition de modèles d'entreprises publiques même si ces derniers ont prouvé leur efficacité dans les pays d'origine.

En Afrique beaucoup d'Etats se sont effondrés ces dernières années. L'Etat comme institution décisionnelle, active et coercitive ne peut plus prendre des décisions. La structure, l'autorité, la loi et l'ordre politique ont disparu et devraient être reconstruits d'une façon ou d'une autre. Ce qui veut dire que penser à l'efficacité des entreprises publiques en Afrique revient à penser à la renaissance des Etats.

L'entreprise coopérative

En Afrique cette forme d'entreprise s'est beaucoup développée dans le secteur agricole. Les coopératives agricoles ont réussi dans certains pays à acquérir une taille et des performances qui les placent au premier rang des firmes exportatrices pour certains produits agricoles et alimentaires. Par la mise en commun de services en amont ou en aval de la production (dans l'approvisionnement, la gestion, la vente, la transformation ou l'équipement), elles ont permis le maintien d'une agriculture paysanne basée sur les cultures d'exportation (café, cacao, coton, etc).

Seule à vouloir rompre avec le salariat et avec le travail indépendant, la coopération de production voit son audience renforcée par le regain de crédibilité attaché à sa capacité à sécréter ou à soutenir des emplois, et par l'intérêt croissant pour la démocratie dans l'entreprise.

La création de la coopérative répond généralement à différentes aspirations :

En premier lieu, la création ou la défense d'emplois, susceptibles d'assurer un revenu stable. Cet objectif réapparaît au premier plan lorsque c'est la survie d'emplois existants qui est en jeu.

Ensuite, mais prioritairement pour certains vient la volonté de participer collectivement et démocratiquement à la gestion de l'entreprise.

Enfin, pour remplir ces objectifs, les coopératives deviennent également des lieux d'échange et de formation. L'attachement des individus à leur coopérative se fonde sur la liberté d'expression, la diffusion de l'information, l'apprentissage professionnel et coopératif, les facilités de promotion.

La coopérative est apparue comme le témoignage d'une autre façon de travailler en rupture avec la division et la hiérarchie du travail capitaliste. Sa force et sa faiblesse tient en partie à la qualité du consensus qui est ou non, entretenu en son sein.

Dans les années 70, cette forme d'entreprise s'est beaucoup développée en Afrique particulièrement dans les pays à orientation politique "communiste ". Par exemple au Congo-B/ville l'Etat avait lancé un programme qui a permis la création de milliers de coopératives villageoises soit un village/une coopérative.

Mais le taux de disparition élevé (90% au Congo), traduit la difficulté à faire vivre et à développer de telles entreprises en Afrique. Les populations sont souvent contraintes d'adhérer à la coopérative par une volonté extérieure, donc le choix n'est pas totalement "volontaire ". Dans certains pays elles ont été imposées par les pouvoirs publics et dans d'autres par les projets de développement. En Afrique de l'Ouest par exemple ce sont les projets qui ont suscité l'émergence des coopératives. Les structures du projet apportent un soutien financier et logistique. Mais comme le projet a une durée et un financement limité, la plupart des coopératives disparaissent à la fin du projet. Cela signifie qu'on adhère à la coopérative que pour des raisons d'opportunité c'est-à-dire pour bénéficier des actions du projet.

Conclusion

Les enjeux du développement de l'entreprise en Afrique se situent à deux niveaux :

1/ Le système des droits de propriété.

Le visibilité du droit de propriété détermine la capacité de l'entreprise d'assumer la responsabilité et le partage. Lorsqu'un individu est propriétaire de l'actif, il y a une meilleure visibilité des droits de propriété donc une prise en compte de la responsabilité dans le processus de production. Par contre lorsque les droits de propriété sont partitionnés c'est-à-dire détenus par un groupe d'individus, la propriété est moins visible, donc la responsabilité est incertaine. Les individus propriétaires se livrent à un jeu en adoptant des comportements imprévisibles comme la coopération, l'opportunisme , la ruse et la mauvaise foie.

Quelle que soit la forme de l'entreprise, le coût marginal du capital diminue lorsque le nombre de propriétaires augmente pour deux raisons : d'une part, la mise en commun des ressources des divers propriétaires facilite l'autofinancement ; d'autre part, l'augmentation du nombre de travailleurs permet une utilisation plus intensive des équipements. Par conséquent l'entreprise individuelle supporte le coût du capital le plus élevé. Mais en intégrant le système de réciprocité, l'entrepreneur peut réduire le coût du capital.

2 / Le rôle de l'Etat

Pour garantir la responsabilité et le partage au niveau des entreprises, l'Etat devra jouer son rôle : l'autorité, la loi et l'ordre politique. Mais il y a aussi nécessité d'élaborer des politiques publiques inclusives afin de réduire la vulnérabilité des entreprises individuelles et familiales face à la puissance des multinationales. Approcher les problèmes en termes d'informalité et de formalité ne devrait plus être d'actualité en Afrique.

En définitive, il est urgent que les Etats corrigent une injustice qui consiste à marginaliser les entreprises individuelles et familiales de l'ensemble de l'économie. Si ces dernières années la plupart des gouvernements africains ont mis en place des politiques d'accueil pour les multinationales (code des investissements, zones franches), ils peuvent aussi élaborer des politiques pour les autres catégories d'entreprises sachant que leurs précédentes politiques d'accueil n'ont pas souvent atteint les objectifs souhaités : création d'emplois et lutte contre la pauvreté.

L'injustice concerne aussi les groupements villageois. Ces entreprises interviennent souvent dans les travaux d'intérêt public au niveau des villages (entretien des routes, construction des infrastructures sociales, etc). Compte tenu de leur implication dans le développement local, elles doivent obtenir le statut d'entreprise publique au même titre que les entreprises publiques sous la tutelle de l'Etat.

Il n'est pas question d'opposer les entreprises les une contre les autres mais d'établir l'équité et l'égalité, car il y a des possibilités de partenariats constructifs entre les différents types d'entreprises.

CONTRIBUTION

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